— Tu peux me rappeler ce qu'on fout là ?
La question fit hausser le sourcil droit du détective Hong. Il regarda son partenaire comme si l'évidence aurait dû lui sauter aux neurones.
— Je te l'ai dit, on s'apprête à arrêter un dangereux tueur de chiens.
Il insista sur le « dangereux » en forçant sur le ton sarcastique. Sa réplique agaça William Loiseau.
— Tu sais très bien que ce n'est pas ça ma question. On est vraiment obligé de planquer ? Vidocq fait ça mieux que nous, avec quelques drones et en prenant le contrôle des capteurs de sécurité du bloc.
— Ouais.
Samuel Hong reporta son attention sur le parc, juste en face de leur voiture banalisée. Un vrai parc, au niveau du sol, avec vu sur le ciel. Il en restait peu dans Paris. Un signe de plus que le quartier était sacrément huppé. Ça, et l'absence d'aérotrams.
En trente ans de Néo-Commune, la ville s'était transformée de façon exponentielle, sauvage, vers le haut. La politique migratoire de la Néo-Commune avait nourri la bête. Pour une cité libertaire, difficile de faire autrement que d'accueillir tous ceux qui voulaient s'installer en son sein, sans condition, ou presque. Il en résultait un dynamisme hors norme, des inégalités foutraques, une faune plus que cosmopolite, carrément hétéroclite et cette architecture incontrôlée pour accueillir tout ce monde et toutes ses vies. Parce que la Néo-Commune ne pouvait pas s'étendre au-delà de ses frontières.
Des tours énormes, monstrueuses, phénoménales, austères, rutilantes s'étaient élevées pour loger ce flux d'espoirs, de rêves, de déceptions, de fuites ou de promesses. Dans la couronne extérieure, d'abord, puis partout où cela s'avérait possible. Les voies de circulations s'étaient rapidement retrouvées débordées. Le métro ? Un cloaque de chaleur et de pisse où on se pressurait par nécessité.
On avait commencé par jeter des passerelles entre les immeubles, puis installé des câbles pour faire circuler de gros œufs comme dans les stations de ski. Ensuite, entre les ponts, les passerelles, les câbles, on avait tressé un maillage de métal et de rails. On avait sorti les métros de sous la terre, on les avait hissés dans les hauteurs, le long des cages d'ascenseurs, des poutrelles et des escaliers de secours. On avait allégé leurs carcasses, assoupli leurs articulations, fluidifié leurs allures.
Les aérotrams avaient tissé leur toile sur presque toute la ville, un réseau dense que se partageait une poignée d'exploitants. Les lignes s'emberlificotaient entre les immeubles, il fallait l'aide d'applications à l'intelligence surdimensionnée pour déterminer son trajet.
Mais pas dans les quartiers huppés. Dans les quartiers huppés, la toile se brisait. Elle retournait au sol d'où elle était née. Elle disparaissait pour laisser la place aux beaux parterres et aux jardins. Dans les quartiers huppés, les tours demeuraient peu nombreuses, il n'y avait pas de ponts pour les relier, de câbles ou de navettes interblocs. Dans les quartiers huppés, le sol côtoyait encore le ciel. On pouvait se promener et flâner au pied des façades, lever le nez et accrocher un nuage du regard. Un luxe. Un luxe cher, hors de prix. Un luxe protégé. Il paraissait que certains de ces quartiers avaient été déclarés patrimoine mondial par l'UNESCO. Voyez, les vieux immeubles de l'époque Haussmann, regardez cette place carrée, et ses maisons à la teinte brique. Tournez la tête à droite, et déjà les monstres gris de métal et de verre se courbent sur votre échine. À gauche, un coin de soleil.
Depuis, la voiture, outre le parc, Sam et Will avaient vue sur l'entrée de l'immeuble où habitait la plaignante, Iona Servier, avec son mari. Le lieu du crime. Et pour bien faire, quelques holocrans flottaient dans l'habitacle et leur retransmettaient en direct les images de capteurs situés dans et autour de l'immeuble.
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ReVoltaire
Fiksi IlmiahNéo-Commune de Paris, dernier quart du XXIe siècle. Dans la cité, devenue libertaire et autonome, la politique et le suffrage universel sont abolis depuis longtemps. Elle est dirigée par des représentants anonymes, désignés de façon équitable par u...