※ Partie II ※

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Père suivait avec attention les nouvelles de leurs dernières avancées, et il avait pris la décision une semaine plus tôt d'abandonner notre manoir, notre titre et presque tout ce que nous avions, pour échapper au sort que les Russes nous réservaient. Personnes nous l'avait dit clairement, mais Jonas et moi avions vu petit à petit notre foyer se vider de toutes les choses précieuses qu'il contenait. Et souvent, nous apercevions madame Vilkas, notre bonne, descendre à la cave ou enterrer nombre de choses. Elle rentrait quelques fois chez elle, avec un lourd paquet sous le bras, sans bien-sûr l'avoir volé. Un jour nos valises se trouvèrent mystérieusement faites, puis on rassembla les provisions ; comme Jonas je posais des questions inutiles portant sur notre éventuel départ et dont nous avions devinées les réponses. Bien vite nous avons compris que ces interrogations étaient inutiles, puisqu'il était évident que l'arrivée des russes annonçait le bouleversement de nos vies. Tout le monde avait peur sous les sourires anxieux, et les paroles faussement rassurantes. Et cette peur nous atteignait du haut de notre dizaine d'années, d'autant plus que nous ignorions tout de ce qui nous attendait, si nous n'arrivions pas à fuir. Et nous allions bientôt le savoir. Père n'avait pas prévu une avancée si rapide.

Nous avons été les premiers sur la liste des "éléments antisoviétiques". Notre famille est noble et durant toute mon enfance c'était bien-sûr un avantage. Notre éducation a été stricte, mais s'est révélée être bien utile par la suite, à 15 ans je parlais 5 langues, le lituanien, le russe, le français et l'allemand, ainsi que quelques bases d'anglais, tout comme mon frère Jonas, 12 ans en 1940. Mais à l'arrivée des soviétiques et de leur communisme nous avons été désignés "éléments antisoviétiques". Car tous ceux qui s'élevaient plus haut que les autres devaient tomber, telle était la loi désormais. Déjà, quelques jours avant notre arrestation, certaines familles semblaient avoir disparue. Les gens disaient que si le NKVD, le commissariat du peuple à l'intérieur, venait frapper à la porte d'une maison, ses habitants disparaissaient. Un soir c'est à notre porte qu'ils se sont présentés. C'est ma mère qui ouvrit, et de nos chambres nous n'entendîmes qu'un simple « 20 minutes », crié par l'occupant dont nous avions deviné l'identité. Après cela, tout alla très vite, je me souviens de mère qui courait partout, père paniqué et mon frère ne voulant pas quitter son lit. A ce moment, nous avions 20 minutes pour tout quitter, pour partir. Mais partir où ? C'était la seule question que je me posais. Les officiers et Père s'échangèrent des papiers d'identité, que le NKVD plaça dans un dossier. Nos valises déjà prêtes, Mère nous confia la lourde tâche de détruire les objets que nous n'emportions pas. A l'époque nous ne comprenions pas le sens de cette action, mais le ton d'urgence employé par ma mère nous indiqua d'agir vite. Alors je la vis vider les tiroirs de mon bureau et faire un tas de toutes mes affaires, mon frère apporta tous ses biens dans ma chambre. Père arriva, l'horloge du couloir dans un bras et un carton de porcelaine dans l'autre. Mère partit puis revint, un caisson de vin dans les mains. On vida le contenu des bouteilles sur le tas d'objets hétéroclites. Enfin père nous ordonna de sortir avec nos valises. Il nous rejoignit dans la cour, poussé par deux des officiers. Je reçus un coup de coude dans les côtes, c'était Jonas qui attirait mon attention vers la fenêtre de ma chambre. Il y avait derrière la vitre une lueur de cheminée, un feu, Père avait mis le feu à tous nos biens, pour empêcher les soviétiques de les obtenir. Cet acte signait la fin de tout espoir de revenir un jour chez nous.

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Ruta LimasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant