On embarqua à nouveau dans les camions, qui nous menèrent dans ce qui semblait être une exploitation agricole. Au centre se trouvait une sorte de camp avec des baraques collectives qui semblaient se délabrer. Le commandant nous cria de descendre, voyant nos visages hésitant il nous beugla un « Bystro ! Bystro ! », pointant son arme sur nous. On nous fit entrer dans une des baraques. Une nouvelle fois, les hommes furent séparés des femmes, mon petit frère ne dormirait pas avec nous, je le vis s'éloigner, sa grosse valise sur les bras. Les baraques étaient assez vétustes, avec un toit à double versant en tôle, renforcés de lattes, et des murs constitués d'une simple double cloison de planches remplie de sciure. A l'intérieur, la baraque était séparée en deux sections séparées par une sorte de vestibule par lequel on nous fit entrer. Dans chaque section d'environ 16 mètres sur 6, il y avait un petit poêle, une seule ampoule pour éclairer la grande salle et une petite fenêtre au fond. Au centre dans le prolongement du poêle, il y avait deux larges tables de bois avec leurs bancs, enfin contre chaque mur, se faisant face, étaient disposées 8 couchettes superposées de quatre places. Dans le vestibule non-chauffé, il y avait deux longs lavabos, mais pas d'eau courante seulement deux tonneaux à eau accrochés au-dessus, ainsi que deux seaux où s'écoulaient les eaux usées. L'eau potable nous était distribuée dans un grand seau au milieu de notre section. Les « lits » faisaient chacun 60 cm de large sur 1,80 m de long. Pour monter sur les couchettes superposées, pas d'échelles mais un simple appui cloué au montant. Quand nous entrâmes dans la baraque, elle était déjà occupée par quelques Lettonnes dont certaines parlaient russe ou lituanien, qui nous expliquèrent que pour avoir droit à une ration il fallait travailler, mais c'était le soir et ce n'était plus l'heure de travailler. Certaines d'entre elles nous conseillèrent de ne pas accepter de faire un travail supplémentaire pour une meilleure ration, car cela n'était que mensonge. En effet, au début de leur détention ici, certes assez récente, les conditions étaient d'après elles plus décentes mais depuis quelques jours les rations se réduisaient, ce qui semblait être programmé par le NKVD pour pousser les détenus à de meilleurs rendements. C'était une sorte de faim organisée. Avec madame Rimas et les filles Gribas, nous nous installâmes sur des couchettes mitoyennes, à l'angle du bâtiment. Puis on s'organisa, madame Gribas étira un drap dans l'angle de la section pour créer une zone d'intimité où l'on pourrait se changer, Lina et Ona nettoyèrent notre espace et Mère et moi faisions en sorte de faire ressembler un peu plus à des lits les couchettes de bois. Je pensais à Jonas, espérant que lui et Kostas s'en sortaient au moins aussi bien que nous et qu'ils étaient ensembles. Nous ouvrîmes nos valises, ce que je n'avais presque pas fait depuis mon départ. J'avais emporté beaucoup d'affaires de rechange, et enroulé dans un torchon je trouvais un pot de confiture avec un mot de notre bonne, Madame Vilkas ! Où pouvait-elle bien être ? Etait-elle encore en Lituanie ? Et père ? Comment le retrouver à présent ? Je pleurai devant le petit pot de confiture de figues. J'espérai que Jonas trouve également un petit quelque chose avec le même petit mot. Mère avait pris quelques conserves. Comment avait-elle pu se réserver tout ce temps alors que nous avions souffert de la faim pendant des semaines dans ce wagon ?! J'embrassai mère et nous commençâmes à manger une sorte de vrai repas avec les autres filles. Nous partageâmes ensembles ce semblant de dîner. Puis je m'endormis sur une des banquettes, avec ma chemise de nuit pour la première fois depuis longtemps. Combien de temps allions-nous rester là ? Comment survivrions-nous à l'hiver qui approchait, sans doute bien plus rude ici ?
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Ruta Limas
Historical FictionMonsieur, Je suis Ruta Limas et par j'ai entendu parler par un groupe d'ancien déportés au goulag, que vous cherchiez des témoignages. Je me suis donc décidée à raconter mon histoire, en espérant bien sûr qu'elle vous intéressera, bien qu'elle ne co...