Dans le wagon s'entassait de plus en plus de monde. A l'atmosphère étouffante s'ajoutait une forte odeur de transpiration. Dans un coin, un trou circulaire dans le plancher servait de toilettes. L'espace était encombré de valises et de baluchons gisant au sol. Je comptais 45 personnes. Beaucoup parlaient de notre destination, d'autres du NKVD ou du gouvernement soviétique. Mère parlait avec madame Rimas, Jonas et moi discutions avec les enfants Gribas, qui eux aussi avait vu leur père disparaître dans la foule. Il y avait là Ona, l'aînée qui devait avoir mon âge, Kostas, un garçon d'à peine une dizaine d'années, et la petite dernière, Lina d'environ 5 ans. Dans cet espace clos, on pleurait de faim et de soif ou tout simplement de désespoir. Avec la famille Gribas et madame Rimas, nous décidâmes d'organiser le wagon pour gagner un peu de place, la majorité des autres femmes de notre prison de bois firent de même. On empila les valises créant un espace défini pour chaque famille. Il y avait là deux types de personnes, les solidaires et les solitaires. Certains voulaient comme nous mettre leurs efforts en commun, et cet esprit de solidarité permettait de ne pas trop réfléchir à notre situation, de garder la tête sur les épaules. Cela évitait les tensions, ce qui nous rassurait mutuellement, et en particulier les plus jeunes d'entre nous qui étaient d'autant plus perdus. Quelques rares personnes choisissaient le chacun pour soi, incapables de communiquer normalement tant la situation les dépassait. Dans notre wagon il n'y eu pas de conflit important, les personnes dans la détresse la plus totale étaient rassurées par d'autres. C'est ce que je fis avec Karolina. Elle semblait avoir presque mon âge et avait pourtant un nourrisson dans les bras. Encourager ou rassurer les autres m'a toujours permis de me mettre moi-même en confiance, même si ce jour-là il ne s'agissait que de faux espoirs. La nuit tomba sur notre prison de bois et les rumeurs concernant notre destination désignaient désormais la Sibérie. La Sibérie, presque à l'autre bout du monde, cette terre était vide de toute civilisation, pourquoi nous emmener là-bas ? On dormit à peine, et par intermittence, réveillés par les crissements des bottes des officiers du NKVD sur le gravier. Par chance ceux-ci laissèrent les portes du wagon ouvertes, ce qui nous permis de respirer un peu. A l'aube, le train n'avait toujours pas bougé de la gare. Mère tressa mes cheveux, tandis que je faisais de même avec la petite Lina. Ses cheveux étaient recouverts de la poussière qui s'amassait sur le plancher, mais l'on voyait que leur blond, presque blanc, devait étinceler au soleil. Elle avait avec elle une poupée en loques qu'elle ne quittait jamais. La nuit suivante Lina sortit du wagon. Sa mère l'apercevant, couru la rattraper, négligeant l'officier et sa ronde. Mais le crissement sur les graviers se rapprocha, il fallait faire vite. Je sortis et empoignai le bras de Lina, la ramenant à moi dans le wagon. Madame Gribas attrapa ma main. Trop tard, l'officier nous aboya dessus réveillant tout le wagon. Mère me dévisagea terrifiée. Il ramena madame Gribas au sol d'un violent coup dans les côtes, la pris par le bras et la propulsa contre le wagon. Mère la ramena vers l'intérieur et l'officier continua sa ronde. La petite Lina, en pleurs s'excusa mille fois dans les bras de sa mère. Comment ces hommes pouvaient-ils faire preuve d'aussi peu d'humanité ? N'avaient-ils aucune conscience ?
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Ruta Limas
Historical FictionMonsieur, Je suis Ruta Limas et par j'ai entendu parler par un groupe d'ancien déportés au goulag, que vous cherchiez des témoignages. Je me suis donc décidée à raconter mon histoire, en espérant bien sûr qu'elle vous intéressera, bien qu'elle ne co...