※ Partie XI ※

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Nous étions arrivés dans ce qui allait devenir un enfer glacé, dans ce camp de bois et de barbelés, accueillis par une bise glacial. On nous fit entrer dans des yourtes bien moins confortables que notre dernière "maison". Je n'arrivais pas à croire que ceci allait être notre destination finale. Mais les conditions de vie semblaient si rudes, que je devinais notre position au-delà du cercle polaire: Ils ne pouvaient donc pas nous amener encore plus au nord. Il fallait se résigner c'était là que nous allions vivre. Mère me manquait terriblement, je pensais à elle tous les jours et pensais à ce qu'elle aurait dit ou fait dans telle situation. Parfois je me disais que je ne la reverrai plus jamais, ce qui me faisait pleurer. Auprès de Jonas, je prenais parfois sa place, l'interdisant certaines choses et lui en conseillant d'autres. Les jours qui suivirent, notre ration alimentaire resta importante, mais celle-ci ne compensait pas le froid. Les yourtes avaient été construites à partir de rien : des éclats de briques, des végétaux, quelques rondins, et du bois flotté, et celle-ci étaient habitée. A cette misère faisait face de petites maisonnettes en rondins destinées bien-sûr au NKVD. Ici aussi il fallait travailler, nous devions pêcher du poisson que nous ne mangerions jamais, construire d'autres logement, ou une boulangerie dans le quartier du NKVD. Dans notre yourte un poêle improvisé avait été fabriqué avec un baril vide et des boites de conserves, mais le bois restait rare et était réservé au NKVD. L'hiver approcha, et tout le monde avait peur de la nuit qui durerait des mois au-delà du cercle polaire. Il fallut pourtant travailler. Un jour Jonas trébucha et tomba dans le fleuve, il fut emporté par les courants dans cette nuit hivernale. Je criai à en perdre la voix, et les soldats me firent taire de leurs coups de fusils. Il ne me restait plus rien. Alors, maintenant, il n'y avait plus aucun enjeu, je pouvais bien vivre ou mourir, Papa était sans doute mort lui aussi, et même si ce n'était pas le cas, comment le retrouver ? Il ne se passe pas un jour sans que je m'en rappelle, avec cette impression que désormais cela me définit. Chaque hiver me ramène là-bas et me plonge dans la torpeur. Il ne se passe pas un jour sans que je m'en rappelle, sans que je me dise que c'est trop tard, que je ne suis plus moi. Comme si j'avais perdu mon âme, restée là-bas à jamais, emportée par les vents froids de Sibérie. Non, il ne se passe pas un jour sans que je m'en rappelle. Enfin après l'hiver, je réalisai que se laisser mourir, signifier les laisser gagner, or il en était hors de question. Je survivrai quoi qu'il m'en coûte, je n'avais plus rien à perdre.

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Ruta LimasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant