Chapitre 6

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Allongé en travers du matelas ; mes pieds pendaient nonchalamment dans le vide ; je comptais les bosselures au plafond. Sur les murs : des posters de Boys Bands et des groupes de rock anglaisJ'avais ouvert en grand les battants de la fenêtre. Une légère brise pénétrait ma chambre et caressait le papier de mes croquis épinglés au-dessus du bureau, à côté des photographies artistiques de David Lachapelle que j'avais eu gratos à l'occasion d'une exposition consacrée à sa série photo « After the Deluge » ; un soir que les effluves du printemps adoucissaient, ma mère nous y avait emmené mon père et moi. L'une de ses œuvres originales portait le nom de Gaïa et exhibait un homme nu, maculé de flétrissures vertes, lilas. Longtemps, j'étais resté debout au milieu de la galerie, absorbé, et j'avais pensé que peut-être on pouvait tomber amoureux d'un homme nu ; la sensualité du portrait ; un faciès singulier, la bouche étirée par un cri horrifique enfourné dans son gosier comme un petit pain ; les tétons bruns exaltés à la recherche d'une chatterie, une cajolerie ; l'inflexion de son corps, la cambrure cassée de sa taille, ses jambes écartelées, offertes sur un lit de lichen, invitation muette ; une main gênante sur son sexe bouffé par du lilas, dans une tentative désespérée de dissimuler sa libido évidente.

Sacha noircissait les cases d'un questionnaire pioché parmi les nombreux magazines people qu'on avait achetés au Night-shop du coin. À la radio, ils passaient un slam ; l'émission captée s'entrecoupait de bruits parasites ; une sonate pour piano et violoncelle se jouait occasionnellement. Le slameur manipulait son verbe à la perfection, sa voix psalmodiait un texte qu'il avait écrit. Les mots ricochaient, se défenestraient, atterrissaient en contrebas où la chaleur était suffocante ; ma mère cuisinait des muffins au chocolat dont les odeurs de beurre et sucre fondus chatouillaient nos narines.

— C'est quoi encore ton signe astrologique ?

Sacha, étendu par terre, attendait une réponse, le nez collé à la feuille du questionnaire.

— Taureau. Pourquoi ?

— J'en ai besoin pour savoir quelle célébrité te correspond le mieux.

— Ah.

— Je t'interdis de me juger, on n'a rien d'autre à faire.

— On a pété un plomb pour acheter ces grosses daubes, je m'ennuie, viens, on sort.

— Je suis vierge.

— Allez ! On sort. 

— Où ?

— C'est l'été. On pourrait aller n'importe où.

— On ne va jamais nulle part.

— Tu n'as pas l'impression qu'en été tout est possible ?

— Boarf. 

— Tu es nul et pas philosophe pour un rond. 

— Je t'emmerde. 

— Super.

— Ah ! Léonardo Di Caprio !

— Super.

— Coïncidence ? Je ne crois pas... Hein, Léo, hein ???! 

Je soupirai.

— Comment je dois faire avec Myūzu ? 

— Chai pas.

— Tu es chiant.

— Tu dois te donner les moyens. Mettre les bouchées doubles ! L'enfoncer !

— Tu me dégoûtes.

— Je déconne. Vas-y en douceur. Propose-lui un date.

— On est ami maintenant.

— Ce n'est pas ce que tu veux.

— Non.

— C'est normal que tu doives faire les premiers pas, il n'a jamais rien demandé, lui.

— ...

— Tu l'aimes hein, Léo, hein ?

— Ça dépend.

— Dépend de quoi ?

— Quand j'étais petit, je ne me posais pas de questions, mes parents s'aimaient, c'était facile, je les aimais. Après tout ça, je me suis senti seul. Pendant des années, il y un truc que je n'ai pas compris, un truc qui ne tournait pas rond. Je ne savais pas que c'était possible d'avoir peur des gens, de l'amour que tu leur portes. 

— Arrête ta branlette intellectuelle, mon pote, ça ne sert à rien ce que tu dis. Il faut foncer, vivre, aimer, ressentir ! 

— Je n'y arrive pas.

— Mais si.

— Nan.

— Écoute. Tu verras bien. Tu ne sors même pas avec lui. Aie confiance, tu n'as pas assez confiance. Ce n'est pas si compliqué. Il est gentil Myuzu.

— Oui.

— Il parle doucement, c'est mignon.

— Oui.

— Son âme te raconte des histoires en cachette.

— Ou... Tu dis des bêtises.

— Je ne crois pas. Je vais me chercher un verre d'eau.

Il allait quitter la pièce quand il se retourna pour ajouter :

— Moi, quand je suis avec toi, je trouve que tu t'en sors plutôt pas mal. La vie, son gros bordel...

— ...

— C'est lequel son signe astrologique ?

— Hein ?

— Myuzu. Son signe.

— Scorpion.

— Voilà. Les scorpions, ils aiment bien les taureaux, askip. 

Parmi la multitude des toilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant