Réminiscence

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Ils dorment allongés par terre, bourrés comme des coings. Le jeu s'est terminé. Il fait sombre, la fenêtre bâille. Du salon nous parviennent leurs grognements ensommeillés. Myuzu et moi nous sommes éclipsés, l'auvent nous préserve du crachin nocturne. « Ploc, ploc, ploc ». La tempête s'est calmée. Il n'y a pas beaucoup d'insectes, le gazon dégouline de flotte. Nous nous sommes assis sur les chaises du jardin. Myuzu entoure ses genoux, il tient une cigarette. Je bois une tisane, on se lance des œillades à la dérobée. Une bougie vacille, découpant des ombres et de la lumière sur la table. J'étire mes bras en proie à la plénitude et cette nostalgie que confère la nuit, j'adore la nuit.

— J'adore la nuit, répété-je à voix haute.

— Moi aussi.

— On devrait vivre la nuit. Pour pouvoir observer la lune ou juste pour parler à quelqu'un.

— En secondaire, avec Alice, on passait des heures entières à discuter dans le noir.

— Vous parliez de quoi ?

— De tout et de rien. Des choses que j'ai oubliées, certaines dont je me souviens.

— Avec ma mère, on parle parfois jusqu'à quatre heures du matin. Les sujets se ressemblent, c'est beaucoup la famille. Mon père surtout. Et du coup, ça dévie sur l'amour.

— La nuit, personne n'est éveillé. Ça donne l'impression d'être seuls au monde.

— C'est la liberté.

Myuzu pivote légèrement. Il coince le mégot entre ses lèvres et aspire une bouffée.

— Il y a les étoiles, soupire-t-il. Quand je vais à la campagne, je les observe. Elles ne me racontent pas leur secret. Il n'y a pas de pollution lumineuse, le ciel immense, on se sent tout petit. Dommage qu'en ville, on ne voit jamais rien. Pis, maintenant, c'est moche avec la pluie.

— Ça ne me dérange pas. J'aime bien les orages d'été.

— Je préfère les étoiles. J'aurais aimé les voir aujourd'hui.

— On pourra les regarder un autre jour.

— Ah oui ?

— Il y aura d'autres jours.

Je me tais. Myuzu me sourit. Un sourire de promesses muettes. Un sourire pour dire d'accord. Le chat se faufile à travers la faible embrasure. Ses pattes pétrissent la pierre bleue et il se blottit contre la vitre.

— Je n'avais jamais joué à des jeux de rôles.

— Sérieux ? On en faisait tout le temps avec Sacha.

— C'était ma première fois, je me suis trop amusé. Il a quand même de l'imagination.

— Il en a toujours eu, c'est pour ça qu'on s'entend si bien.

— Vous vous connaissez depuis longtemps ?

— Seize ans. Je l'aime comme un frère. Je suis fils unique, ça tombe bien. Tu as des frères et sœurs ?

— Une sœur. Plus jeune que moi.

— Comment s'appelle-t-elle ?

— Charlie.

— Vous vous entendez bien ?

— De ouf.

— ...

— Et toi ? Ta famille.

— Je ne sais pas. On ne se dit pas grand-chose avec mon père, ça nous arrive rarement de parler comme maintenant, ça me rend triste.

J'ai l'air triste, je crois.

— Tu as plein de gens autour de toi, pourtant tu es seul.

— On est toujours seul, chuchote-t-il. Genre dans ta tête, il n'y a personne de personne, tu nais seul, tu crèves seul. Après c'est bête, ce n'est pas ce que je voulais te dire, ce que je voulais... Il ne te rejetterait sûrement pas si tu lui parlais.

— Ça me fait peur de lui dire... C'est trop facile de parler aux autres, ceux qu'on ne connaît pas.

— Tu n'es pas obligé de lui exposer, de disséquer tes sentiments.

— Je me sens à poil devant lui.

Il ne pipe plus un mot. Je vole sa cigarette. Aussitôt, le poison encrasse mes poumons. Il rit et me l'arrache avec espièglerie. Je n'ai pu tirer qu'un seul coup, je râle. Il rit, cela émoustille mes sens. Je bouillonne, je suis nauséeux ; on a envoyé valdinguer mon amertume. On se raconte des blagues ; une deuxième, une troisième et une cinquième. Il s'égosille. Il est rouge, il se tient les côtes. Ses risées lézardent les dalles graveleuses de l'allée, les briques orange. Nous rentrons. Je m'empare d'une bouteille de vin qui se prélassait sur le comptoir de la cuisine. Visiblement, toujours assoiffés. Nous buvons. Je commence à fatiguer. Myuzu s'écroule, il émet une plainte cotonneuse qui se brise en éclats joyeux. Il bafouille des trucs intangibles. Il devient flou, incohérent. Je m'endors. Il disparaît.



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