Je portais mon skateboard sanglé sur mon sac à dos ; Isaac et Sacha me distançaient de quelques mètres, leurs roulettes esquintaient le trottoir. Le soleil en cette fin d'après-midi cognait contre nos crânes et malgré ma casquette, je sentais mon cuir chevelu chauffer durement. L'atmosphère était électrique, le goudron des routes fondait, l'herbe moite du parc transpirait. Nous nous installâmes sous le saule pleureur dont les branches pleuvaient jusqu'au sol, ses milliers de feuilles vertes disséminaient sa tristesse, cela laissait une impression de larmes. Un terrain de jeux composé d'une balançoire et d'un toboggan égayait le lieu public pour le plus grand plaisir des gamins dont certains barbotaient en maillot de bain à motifs licornes et requins multicolores, dans l'étang surveillé par une femme en pierre, debout sur son socle, la mine sévère. Juste en face de nous : le terrain de foot que des ados métalleux — piercings et cheveux teints — assaillaient en masse, avec leur baffle, pour écouter des sons bien vénères. Isaac et moi étions couchés, bras croisés derrière la nuque. Sacha grimpait et dévalait les pentes du skatepark — il était plutôt doué. Je discernais, à travers le rideau de feuillage, des bouts de nuages qui naviguaient au gré du grand bleu. Un chien et son maître jouaient à la baballe. « Va chercher ! Rapporte ! » Le chien mâchouillait l'objet caoutchouteux plein de bave. « Je vais me griller une cigarette. » J'en tirai deux de mon paquet et en présentai une à Isaac qui la prit.
— Je vais en Espagne.
— Avec ta famille ?
— Ouais.
— Tu n'es pas content ?
Isaac esquissa un vague mouvement d'épaules :
— Partir au même endroit ça m'ennuie à la longue, j'aurais voulu changer. Et toi ?
— J'aimerais faire un road trip en Asie.
— Mon cousin, il a été à Séoul et à Busan. Il a dit que c'était génial, que ça n'avait rien à voir avec nos pays, il y a des buildings énormes comme à New York qui côtoient des cahutes sur la rue dans lesquelles on raccommode des chaussures à la main ; de vieux messieurs en chapeau de paille qui transportent des chariots remplis de bois, de morceaux de cartons ; des ruelles minuscules et derrière certains buildings hypra technologiques : des vitrines de magasins désaffectés, des bâtiments abandonnés, on construit sur construire sur construire. Il m'a montré des photos, il s'est baigné dans la mer, il a vu un marché aux poissons. Il dit que les gens là-bas sont à cheval sur la citoyenneté, la politesse, que toutes ces conneries, ça rend leur société froide, d'apparence, parce qu'ils sont très gentils ; que chacun reste dans sa bulle avec ses potes, sa famille ; qu'on n'interfère pas avec la bulle des autres, que ça ne se fait pas — question de respect. Ce ne sont pas tes affaires, tu comprends ?
— Oui.
— C'est fou, les différences de culture, ça a été tellement vite chez eux. Et dans les campagnes, je me demande comment on vit... Tu imagines ? En cent ans, un petit village de pêcheurs perdu au fin fond du Japon est devenu Tokyo.
— Je sais.
— Ça fait peur. Qu'est-ce que c'est que cette planète ?
— Une planète dirigée par les hommes. J'ai lu « Bersek » il n'y a pas longtemps. Tu vois le manga connu, l'histoire de deux meilleurs amis ; ben l'un des deux était emprisonné et torturé pendant un an avant d'être délivré par ses proches ; ben, en fait, il était devenu fou, en remerciement, il les a tous tués et il a violé la copine de son ex-meilleur ami sous ses yeux.
— Pourquoi ? Il avait trop enduré ?
— Des souffrances horribles soi-disant, je n'en ai rien à foutre, je vais te dire la vérité : ce personnage est mauvais. Faible, égoïste, dès le début c'était un sale type.
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Parmi la multitude des toiles
عاطفيةC'est l'histoire de Léo qui a un gros crush sur Muyzu. Ils ne se connaissent pas. Pas encore. Il cherche à comprendre. Et puis, tout est déjà là. Depuis le début, très certainement. Ils cherchent toujours. *** "Parmi la série de peintures, il y e...