1. Départ (version éditée)

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Du haut du perron de bois, Alinor regarda son mari rejoindre ses soldats. En frissonnant, elle resserra les pans de sa cape sur son corps et frotta ses pieds nus l'un contre l'autre pour les réchauffer, incapable de quitter Gautier des yeux pour aller se mettre à l'abri. Dès qu'il eût passé la herse de la haute-cour, elle se rua à l'intérieur et s'engagea dans les escaliers étroits. En courant, elle gravit tous les étages pour gagner le sommet du donjon. Essoufflée, elle déboucha sur le chemin de ronde et se précipita vers le bord du rempart. Appuyée contre un merlon, elle observa le contingent sortir de la forteresse, traverser le village, puis progresser le long de la route. Elle resta là pendant de longues minutes, solitaire au sommet de la tour balayée par le vent hivernal. La jeune femme était assaillie par des émotions contradictoires. Elle se sentait à la fois fière et misérable. 

En effet, Alinor était satisfaite que le nouveau souverain d'Angleterre tienne en si haute estime son époux et lui accorde sa confiance, ainsi qu'à son père. Les deux hommes avaient belle allure, et elle se réjouissait de voir que leur prestance imposait le respect aux autres. Elle était fière d'être mariée au baron de Fougères. Elle était heureuse que Gautier l'ait choisie. Non seulement il présentait de grandes aptitudes en tant que meneur d'hommes, mais en plus il faisait montre de nombreuses qualités humaines. Et pour ne rien gâcher, c'était un guerrier magnifique d'une grande virilité. 

À l'évocation de leurs ébats, son corps se réchauffa subitement. Elle n'aurait jamais imaginé éprouver autant de plaisir dans les bras d'un homme... et, a fortiori, encore moins dans ceux d'un envahisseur ! Oui, elle avait vraiment de la chance ! Elle pouvait se féliciter de cette union. Mais alors, pourquoi se sentait-elle aussi mal en voyant le contingent s'éloigner ? 

Elle ne comprenait pas ses propres réactions. Elle avait la gorge nouée et une sensation d'oppression au niveau de la poitrine. Était-ce de la peur ? Était-elle anxieuse pour Gautier et son père ? Ou était-elle inquiète pour Thurston et craignait-elle que le fief subisse une attaque en leur absence ? L'agression dont elle avait été victime l'avait profondément marquée. Elle s'était révélée si impuissante face à ce soudard de Mortreux ! Sans l'intervention de Gautier, ce houlier1 l'aurait violée, et probablement tuée. Il l'avait d'ailleurs à moitié étranglée ! Peut-être appréhendait-elle d'être à nouveau la proie d'un autre malivolent et de ne pouvoir se défendre ? Oui, c'était sûrement cela ! En l'absence de son mari, elle se sentait vulnérable. Sans protection. Seule la présence de Gautier la rassurait. 

Une fois que la colonne de soldats eut disparu de son champ de vision, Alinor se résolut à quitter son poste d'observation. Avec lenteur, elle parcourut le chemin inverse et descendit les escaliers pour regagner sa chambre. Elle n'était pas vêtue décemment pour aller rompre le jeûne dans la salle commune et devait auparavant s'habiller. Quand elle entra dans son refuge, la jeune femme fut saisie d'une grande lassitude. Elle s'effondra sur le lit où elle resta prostrée pendant de longues minutes. Les yeux grands ouverts, elle fixait le baldaquin au-dessus d'elle. 

« Que m'arrive-t-il ? Pourquoi suis-je aussi perturbée ? » 

Elle avait été prise de panique lorsqu'elle avait compris que Gautier avait délaissé la couche nuptiale avant son réveil. Paralysée par l'appréhension, elle n'avait pas su lui faire ses adieux. Elle avait eu peur que la nuit passée n'ait été qu'une illusion et qu'elle ait imaginé sa tendresse. Le ventre vrillé par l'angoisse et le doute, elle n'avait pas osé se montrer démonstrative. Mais, elle avait été submergée de crainte en le voyant s'éloigner et elle l'avait appelé sous le coup d'une impulsion. Heureusement, il était revenu vers elle quand il l'avait entendue crier ! Les adieux qu'ils avaient échangés à ce moment-là lui faisaient encore battre le cœur. Elle aurait voulu que son baiser ne s'arrête jamais et elle avait ressenti un pincement dans la poitrine lorsqu'il s'était détourné d'elle pour prendre le commandement de ses soldats. Oui, elle commençait à éprouver de tendres sentiments pour son époux, mais était-ce pour cela qu'une peur sourde lui nouait les entrailles et lui donnait envie de pleurer ? Pourquoi étaitelle devenue si émotive tout à coup ? Était-ce le mariage qui la changeait ainsi ?

Combat d'Amour - Tome 3 [Editions Ada juillet 2019 - autoédition 2023]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant