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Je commence sérieusement à m'inquiéter pour Jevi. Ça fait déjà trois matins qu'il n'est pas allé à la fenêtre, comme à chaque fois qu'il se lève.

Je n'arrive pas à voir ses yeux, éternellement cachés derrière ses cheveux. Je ne sais pas ce qui lui ai arrivé, pour qu'il aterrisse à l'hôpital. Je vais essayer d'en parler avec l'anéstésiste.

J'aimerais l'aider, si j'en suis capable. J'aimerais qu'il aille bien. J'aimerais qu'il arrête de se cacher.

Quand on nous a apporté le petit-déjeuner, dans la matinée, il l'a encore mangé rapidement, et s'est enfermé dans la salle de bain, comme après chaque repas. Je crois bien que j'ai deviné ce qu'il y fait, et je ne veux pas qu'il continue.

J'appuie sur le bouton, pendant qu'il occupe la salle de bain, et c'est une infirmière qui entre :

- Vous m'avez appelée ?

J'hoche la tête, puis je demande si je peux voir l'anéstésiste Kim. Je ne peux m'empêcher de sourire quand je prononce son nom, sans savoir pourquoi.

Ce dernier ne tarde pas à faire son apparition, en blouse bleue, et un bonnet d'opération sur le crâne. Je retiens un rire.

Je tente de me lever, lorsque Jevi sort brusquement de la salle de bain, avant d'aller se poser devant la fenêtre. Je m'aperçois rapidement que Kim a suivi mon regard. Je détourne les yeux de Jevi à contre-cœur, et demande à l'anéstésiste :

- On peut sortir ?

- Oui, tu veux que je t'aide ? m'interroge-t-il, en voyant que je galère un peu à marcher.

- Non, c'est bon, merci, je réponds, parce que j'aurais l'impression d'être faible.

Il me regarde sévèrement, les mains sur les hanches, attendant sans aucun doute que je me casse la gueule pour lui prouver que j'ai besoin de son aide.

Je le vois quand même s'approcher de moi, et je me demande comment il va s'y prendre.

Il passe sa main dans mon dos, et la fait glisser sur ma hanche. Des frissons me parcourent, alors que j'essaie en vain de paraître indifférent au contact de sa main. Pourquoi je réagis comme ça ? Il m'aide, c'est tout.

Je lève les yeux vers son visage, et ses yeux rieurs rencontrent les miens. J'esquisse un sourire.

- Merci, je souffle, puis je me souviens que je suis dans la même pièce que Jevi, qu'il doit probablement nous regarder, et que je suis là pour parler de ce dernier.

Je me concentre sur mes pas. Jambe gauche, en avant. Jambe droite, pareil.

Nous arrivons enfin à la porte, que je referme soigneusement derrière moi.

- Tu préfères rester ici, ou trouver un bureau calme ?

Je regarde à travers le hublot de la porte. Je ne veux pas perdre Jevi des yeux un seul instant. La probabilité qu'il se rapproche de la porte est faible.

- Ici, je réponds.

- Donc, tu voulais me voir ? demande Kim.

- Oui... je me triture les doigts, j'aimerais savoir pourquoi Jevi est ici... enfin, ce qui lui est arrivé.

Il fuit mon regard, regarde autour de lui, et me chuchote, mal à l'aise :

- Tu es sûr que tu ne préfères pas un bureau ?

- Non, je dis, froidement.

C'est si grave ? Pauvre Jevi... Mon regard se retrouve une nouvelle fois sur sa silhouette, appuyée contre la fenêtre, légèrement ouverte. Un léger courant d'air doit passer à travers.

Je secoue la tête. Comment arrive-t-il à me faire sortir de mes pensées à ce point ?

L'anéstésiste se passe une main dans les cheveux, et m'annonce enfin la raison de la présence de Jevi dans l'hôpital.

- Comme tu le sais, Jevi est muet, et ce depuis sa naissance. Il a subi un traumatisme, qui a bien failli le rendre sourd. Il est ici pour s'en remettre, il voit un psychiatre tous les jours, et une nutritionniste, car comme tu as pu le voir, il est assez maigre, ce qui nuit à sa santé, m'explique-t-il.

- Et quel est ce... traumatisme ? je demande, avec hésitation.

- Je ne suis pas sûr qu'il voudrait que tu sois au courant, lâche-t-il.

- Je vous en supplie... dîtes-moi... j'insiste, voulant à tout prix savoir.

- Bon... je ne dois pas te le dire, normalement, mais vu que je te fais confiance, je vais te le dire. Promets-moi de n'en parler à personne, d'accord ?

J'aquiesce, et attends patiemment qu'il m'explique, ce qu'il ne tarde pas à faire :

- Il était présent à l'attentat du Bataclan, l'année dernière. Il a perdu son grand-frère et son père. Il ne s'en ai jamais remis. Et je doute qu'il s'en remette un jour. Quand il est arrivé ici, avec sa mère, il était inconscient, avec une balle dans la nuque, très proche d'une veine qui relit le cerveau à l'oreille. Par chance, c'était une balle déviée, elle n'avait pas assez de puissance pour-

Je ne veux pas en entendre plus, et je lui fais signe que j'ai compris, que je suis choqué de ce qu'il a pu vivre. Je n'aurais pas survécu, si j'avais vu mon père et ma sœur mourir sous mes yeux, complètement impuissant.

Je le remercie rapidement, les larmes aux yeux que j'essaie difficilement de cacher, puis je retourne dans ma chambre, et entre dans la salle de bain.

Le miroir me renvoie l'image que je donne aux autres. Un homme triste, aussi blanc que son plâtre et la chemise de nuit blanche qu'il porte.

Le même manège tourne toujours. Je me revois tomber, arrêter de respirer. Je ne suis pas prêt à mourir, contrairement à ce que je me disais il y a bien une semaine. J'ai peur de la mort. Peur de ce qu'il y a après.

Je sors de la salle de bain, les yeux rivés sur Jevi, toujours devant la fenêtre.

Cette fois, je n'hésite plus. Je me rapproche doucement de lui, pour me placer à ses côtés, et ensemble, nous contemplons la ville de Paris.

- Jevi, je murmure, pour la première fois devant lui, en l'observant, regarde-moi.

Il ne bouge pas. Je pose lentement ma main sur sa joue que je ne vois pas. Il ne me repousse pas, ne bouge toujours pas. Alors je tourne son visage vers le mien.

Je repousse ses cheveux barrant ses yeux, soulève sa casquette foncée.

Et je vois ses yeux. Des prunelles noires, absolument magnifiques. Des prunelles qui ont perdu une étincelle. Des prunelles tristes comme je n'en ai jamais vu.

Mes doigts empêchent ses cheveux de revenir cacher son regard, qui se remplit de peur.

- Je ne te ferais jamais de mal, Jevi... je souffle dans un murmure.

Paralysés /BXBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant