3

103 14 6
                                    

Je ne sais plus ce que je fais.

Je lève les yeux vers lui. Nos regards plongent l'un dans l'autre. Il m'est impossible de dire jusqu'où je m'enfonce : son fort intérieur est noir, noir de pensées, noir de passé, noir de regrets, noir de tristesse.

- Je ne sais pas non plus, il me répond.

- J'ai mal, nous disons à l'unisson.

J'observe son teint blanc et ses yeux morts. Il se met du mascara, pour cacher ces derniers. Pour cacher sa souffrance. Je le comprends. Je suis comme lui.

Il ne me dit rien. Certains me diront que je n'aurais jamais profité de ma jeunesse, que j'ai toute une vie à vivre. Certains me diront que je suis trop jeune pour mourir. D'autres me diront que je n'aurais jamais connu l'amour.

C'est faux. J'ai toujours aimé Phœnix. Mes parents et ma sœur m'aiment, enfin, c'est ce que je pense.

Lui, ne dit rien. Il se contente de me regarder de ses yeux cernés.

Je me retourne brusquement, et mes yeux se posent sur mes paumes ouvertes. Je ferme les yeux. Je déteste regarder mon reflet dans les miroirs. Le reflet de moi-même, ce garçon détruit.

Je fais demi-tour. Mon reflet est toujours là. Un rictus se forme sur mes lèvres.

Je suis effrayé par cet homme. Je lui lance brusquement le sèche-cheveux. J'avais dit que je ne pleurerais plus ! Pourtant, les larmes refont surface, en même temps que la douleur. Le sèche-cheveux se brise sous l'impact. L'homme me fixe, les larmes dévalant ses joues si blanches.

Je sors en trombe de la salle de bain, horrifié par ce qui vient d'arriver, et titube difficilement vers mon lit.

Je chute bien avant d'y arriver. Je n'arrive plus à respirer. Je chute et je suis incapable de me relever. Je suis en train de m'étouffer. Je commence à paniquer.

Je perçois des infirmiers entrer dans la pièce, tous préoccupés, et je capte quelques bribes de conversations.

- Il... faire une intubation...

Ma vision se brouille.

- Vite... arrêt cardiaque...

Non !

Puis c'est le noir total.

Quand je me réveille, je crois que c'est la nuit. Je dois être dans la salle de réveil. J'allume discrètement la lampe au-dessus de mon lit. Il n'y a que deux autres lits. Un mot est posé près de mes pieds, je le lis dans ma tête :

<<Appuie sur le bouton lorsque tu as retrouvé tes esprits. Je t'expliquerais tout. A.>>

Je relève la tête. Qui est A ? Ce n'est pas Jevi, ni... pourquoi je pense à lui ?

J'appuie sur le bouton pour appeler un membre du personnel. La porte de la salle s'ouvre presque aussitôt. J'éteins ma lampe, et quelqu'un se rapproche. Au bout d'un instant de réflexion, je le reconnais. D'où le "A", comme anéstésiste.

- Je te ramène dans ta chambre. Ça va ?

Ça me perturbe toujours, que les médecins me tutoient.

- Oui, je souffle.

Il pousse mon lit, nous fait sortir de la pièce, et ferme la porte. Il se met ensuite du côté droit du lit, et me regarde sérieusement.

- Je suis là pour t'aider à aller mieux, pas pour t'aider à mentir, Zio. Dis-moi ce qui ne va pas.

Je baisse la tête. Je ne sais pas me confier. Je ne sais pas comment ça marche. Je ne sais pas si je peux lui faire confiance. Je ne sais pas si je dois lui parler.

- Je vais bien, je vous assure, je dis.

Il soupire, hésite, puis fini par s'assseoir sur mon lit. Il se penche vers moi, et pendant un court instant, j'ai peur qu'il m'embrasse.

- Pourquoi tu t'obstines à mentir ? Je vois bien que quelque chose ne va pas. Si tu as peur que j'en parle aux autres médecins, je t'assure que je ne le ferais pas.

Je craque. C'est dingue, quand même. L'anéstésiste a toujours été là pour moi, à chaque fois que je venais à l'hôpital, c'était lui qui me prenait en charge. Je me souviens du jour de l'accident, où je ne l'ai pas reconnu. Oh non... aurais-je perdu une partie de ma mémoire ?

- Je... je commence, avant de serrer les dents, parce que je me rends compte que j'ai envie de pleurer. Pourquoi je n'arrête pas de pleurer devant toutes les personnes qui ne me connaissent pas ?

Je tourne la tête de l'autre côté, celui où il ne peut pas me voir.

- Parle-moi, Zio. Je t'assure que ça te feras du bien, dit-il.

Je ne le regarde pas.

- J'ai... perdu quelqu'un qui... m'était... cher.

- Dans cet accident ?

Pourquoi remue-t-il le couteau dans la plaie, comme ça ? Il ne voit pas que j'ai assez mal ?

Je me contente d'hocher la tête. Je tourne les yeux vers lui. Il serre les lèvres, puis demande :

- C'était qui ?

La douleur est juste sous le masque que je me suis forgé, prête à éclater, comme la glace le ferait si une météorite plongeait dedans. Et cette météorite va percer mon masque.

- Mon... cheval, je réponds, avec hésitation.

C'est bon, il peut me ramener ? J'ai envie de dormir, et de voir si Jevi va bien. Je fronce les sourcils. Pourquoi je m'inquiète autant pour lui ?

La voix de l'anéstésiste me sort de mes pensées :

- Comment s'appelait-il ?

- Phœnix, je lâche, puis je lève la tête vers lui, vous pouvez me ramener, s'il vous plaît ? Je suis un peu fatigué...

Il accepte, et fait rouler mon lit jusqu'à ma chambre et celle de Jevi. Arrivé devant la porte, il s'arrête.

- Tout à l'heure, tu as eu un poumon bouché, c'est pour ça que tu n'arrivais plus à respirer. Il a fallu t'intuber, sinon, tu risquais de faire un arrêt cardiaque. Tu as perdu conscience entre-temps.

Il me fait entrer dans la chambre, et je regarde si Jevi est là. Son corps détendu est allongé sur son lit, et il respire doucement. Je soupire de soulagement. Il va bien.

Juste avant de sortir de la pièce, l'anéstésiste me dit :

- C'est grâce à Jevi que tu es en vie. C'est lui qui nous a prévenu.

Paralysés /BXBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant