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J'ai beau le renier, le fait d'avoir parlé à quelqu'un de la perte de Phœnix m'a fait énormément de bien.

Je sors de la douche, tremblant encore de l'eau brûlante que j'ai prise. J'enlève la serviette enroulée autour de moi, mets doucement mon caleçon, et essuie mes jambes. Je remonte plus haut, et effleure le petit tatouage qui me barre une partie de l'abdomen. Je souffle bruyamment. Est-ce possible de vouloir mourir, sans le vouloir vraiment ?

Je finis de m'habiller rapidement, et, ayant une dernière fois jeté un coup d'œil sur le beau phœnix noir et or, je sors de la salle de bain. Et ce que je vois me prétrifie sur place. Ou plutôt, ce que je ne vois pas. Jevi n'est pas dans notre chambre. Son lit est fait, les draps parfaitement remis en place. Les larmes me montent aux yeux. Je me suis attaché à lui, ces dernières semaines... lui il part, sans aucun moyen de me retrouver après.

Quelle relation entretenait-on ? Aucune idée. C'était une amitié sans mots, sans paroles. Je le respectais beaucoup, et le savoir muet ne me dérangeais pas.

Je m'assoids sur mon lit en silence, et baisse la tête. Comment peut-on s'attacher à quelqu'un, sans presque rien connaître de lui ? Je refoule mes larmes. Je ne dois pas pleurer.

Une heure plus tard, je suis à la place préférée de Jevi, la fenêtre, et je regarde la Ville Lumière. Le soleil est en train de se coucher, la ville commence à s'éclairer par elle-même

Mes yeux s'échouent dans les étoiles, qui apparaissent petit-à-petit.

J'entends soudain la porte de la chambre s'ouvrir, puis se refermer doucement. Je n'ose pas me retourner. J'ai peur que ça soit Jevi.

C'est lui. J'en suis sûr. Ce sont ses pas. Discrets. Légers. Je l'entends étouffer ses pleurs dans sa couette. Mon cœur se serre. C'est la troisième fois qu'il pleure depuis que je suis ici. Et ça ne s'est jamais bien terminé. À chaque fois, il repousse tout le monde, il refuse qu'on le touche. Je ne connais pas la cause de ses pleurs, mais en y réfléchissant bien, c'est toujours le mardi...

Je me suis trompé. Jevi n'allait pas partir, il était juste en rendez-vous avec le psychiatre, comme tous les mardis soirs. Ça ne se passe jamais bien, il revient tout le temps en pleurs. Et à chaque fois, je ne fais aucun geste envers lui. Mais cette fois, j'ai envie de le réconforter.

Alors je me détache de la fenêtre, me retourne, et m'approche de lui, qui est à genoux par terre, à côté de son lit, son visage plongé dans ses draps blancs.

Mes pas sont discrets, mais assez fort pour qu'il les perçoive à travers ses sanglots. Je m'assois sur son lit, juste à côté de sa tête, et me retiens se passer ma main dans ses cheveux, sous sa casquette.

Il lève doucement la tête, se calme un peu, et me regarde. Je dégage les mèches lui cachant les yeux, et découvre un visage ravagé. Par la tristesse, la colère, et par la souffrance. Tout ce qu'il a pu endurer ces derniers temps.

- Respire, je chuchote, calme-toi, Tout va bien, je continue, autant pour lui que pour moi.

Son regard se remplit brusquement de haine et de colère noire que je ne saurais comprendre. Me déteste-t-il ?

Sa main attrape vigoureusement la mienne, la serre très fort, au point que je sens mes phalanges craquer, et l'appuie contre son torse. Je laisse ses cheveux retomber devant son front, et ma respiration s'accélère. Que se passe-t-il ?

Je me dégage violemment, et sors de la pièce, me retrouvant dans le couloir désert. Je me laisse glisser contre le mur, et ferme les yeux. J'essaie en vain de calmer mon cœur tambourinant dans ma poitrine.

- Que fais-tu là ?

J'ouvre les yeux d'un coup, et rencontre le regard de Kim.

- Je... je... ne sais... pas, je bafouille précipitamment.

Il s'accroupit, et me sourit de son air sincère :

- Zio, je vais me répéter, que fais-tu là ?

Je détourne le regard.

- Je vais manger, c'est bon, laissez-moi tranquille, je marmonne en me levant.

- Attends ! dit-il.

- Quoi ? je demande, fatigué.

- Tu viens au bureau numéro quatre, dans cinq minutes. Tes parents sont là, je venais te chercher, lâche-t-il.

- Ok, je murmure, avant d'entrer dans la chambre.

Tiens, ils n'avaient pas oublié que j'existais. Jevi n'a pas bougé, mais il ne pleure plus. Je sais qu'il va mal, et ne pouvoir rien faire est désolant. Je prends un sweat, et lui dis, avant de sortir :

- Je reviens bientôt, attends-moi là.

Je sais que c'est complètement débile de lui avoir dit ça, mais je n'ai pas pu m'en empêcher.

Je rejoins rapidement le bureau où l'anéstésiste m'a donné rendez-vous, et frappe trois coups, avant d'entrer. Trois paires d'yeux se tournent vers moi. Je plisse les yeux d'incompréhension.

Pourquoi ma mère pleure-t-elle ? Pourquoi mon père me regarde, les yeux remplis de remords ? Et pourquoi celui de Kim est désolé ?

- Quelqu'un m'explique ? je demande, perdu, en restant devant la porte, à moitié ouverte.

Ma mère se tourne vers Kim, et je ne vois plus son visage. Mon père se contente de me fixer.

- Je crois que tes parents ont quelque chose d'important à te dire, je vous laisse ? propose-t-il.

- Non, restez, je lance, alors c'est quoi ? je lâche en me tournant vers mes parents, aussi démunis l'un que l'autre. Ma mère se retourne.

- Chéri...

"Chéri ?" Elle se fout de ma gueule ? Pas une seule fois, elle ne m'a donné de surnom, et encore moins "chéri". Je la laisse continuer. Elle va droit au but :

- Nous ne sommes pas tes vrais parents.

J'essaie de parler, de leur crier tout ce que je pense, mais les mots ne sortent pas. J'essaie de bouger, de m'enfuir, mais mes jambes ne font pas de mouvements.

Je me tourne vers mon père, voulant croire que ce qu'a dit ma mère est faux, mais il se contente d'hocher la tête, et de murmurer :

- Désolé, Zio.

Je quitte le bureau en courant, vagabonde dans les couloirs, et laisse ma douleur exploser. Je n'arrive plus à arrêter les larmes, et quand j'entre dans ma chambre, je ne prête même pas attention à Jevi, prends le cutter sous mon oreiller, et fonce dans la salle de bain.

Je m'entaille le bas du poignet, plus ou moins profondément. Le sang se met à couler, se mélangeant avec mes larmes salées. Je ne pense plus, n'entends plus, ne souris plus.

Mais je sens la gifle d'une petite main, je vois la colère d'un regard, et je regarde la personne en face de moi.

Il se lève, prend un gant, le mouille, essuie mon visage trempé de larmes, et appuie doucement sur mon bras, qu'il enroule dans une bande propre.

Puis il me serre contre lui, et je glisse mon visage dans son cou, humant son odeur. Je me rends compte que je suis plus petit que lui, de seulement quelques centimètres.

Et que, si ça continue, je vais finir par tomber amoureux de Jevi.

Paralysés /BXBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant