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Je ne peux m'empêcher de fuir. Fuir Kim, fuir ce qu'il m'a dit. Non ! Non, Jevi n'a pas le droit de me quitter comme ça !

Je traverse les couloirs dénudés de couleurs, bouscule les infirmières, qui crient sur mon passage, renverse des plateaux d'outils pour soigner... jusqu'à arriver devant ma chambre. Et celle de Jevi.

J'entre sans frapper, et referme derrière moi. Jevi a rejoint son lit, et dort comme un bébé, les poings fermés. J'ai envie de le réveiller, mais je ne le fais pas. Parce que je sais qu'il fait semblant de dormir.

- Zio... murmure-t-il, la voix secouée par un débordement d'émotion.

Il s'assoit dans son lit, lentement, se recouvre des draps, et me regarde.

Je m'approche de lui, et lui prends la main droite, celle qui commence à faire des siennes. Ses yeux s'éclairent de compréhension. Il a compris que je suis au courant.

- Zio... c'est Kim... qui... t'a dit ? articule-t-il, difficilement.

Et je comprends que sa situation est bien plus grave que ce que m'a expliqué l'anéstésiste.

- Oui, c'est lui. J'ai encore forcé sur ses nerfs, j'essaie de le faire rire, mais il ne réussit qu'à esquisser un sourire.

- Jevi ? Et toi, tu te sens comment ? je demande.

Ses prunelles noires plongent dans les miennes tristement, puis il lâche :

- Je sais que... c'est bientôt... marmonne-t-il, et je vois qu'il tente de tout faire pour que je ne m'aperçois pas qu'il va mal.

- Eh, pleure pas, je suis là, ok ? je lui dis, avant de venir le serrer contre moi, et nous nous enroulons dans les draps, serrés l'un contre l'autre.

Je lui caresse les cheveux d'une main, et le dos de l'autre, alors que sa main se faufile lentement sous mon sweat. Puis nous ne bougeons plus, jusqu'à ce qu'il murmure :

- Promets-moi de... m'oublier... de ne pas... continuer de m'aimer... de chercher une petite-amie... et de continuer de... vivre...

- Jev'... c'est trop tard, maintenant. J'ai aussi une tumeur, qui ne se soigne pas, et je vais bientôt mourir, je lâche, en respirant difficilement, sentant que la toux va arriver.

Mes poumons explosent, ma cage thoracique se soulève violemment, et ma respiration s'accélère. J'ai l'impression de mourir de l'intérieur, alors que l'air expulsé sort de mon corps. Je me plie en deux, pour éviter de chanceler, et la douleur disparaît presque. Bientôt, mes poumons se vident, et ma toux se calme. J'ai les larmes aux yeux, et mon torse me fait mal. Je m'asseois par terre, replie mes genoux contre moi, et plonge ma tête dans ces derniers.

Mes pleurs ne s'arrêtent pas, et je commence à avoir mal à la tête. Je sens la main de Zio caresser ma nuque. Je me retourne vers lui, mais je le vois flou, à cause de mes yeux embrumés.

Je veux me relever, pour m'asseoir à côté de lui, mais la toux recommence, et cette fois, je vais m'appuyer contre le mur d'en face, préférant que Jevi ne me voit pas souffrir.

J'ai mal, terriblement mal, et je mets ma main devant ma bouche, pour essayer d'étouffer ma toux virulente, pour ne pas réveiller tout l'hôpital.

Je n'entends même pas Jevi se lever, et venir me soutenir. Ma toux s'arrête brusquement, et quand j'enlève ma main de ma bouche... je vois du sang. Un caillot de sang.

Je regarde Jevi, terrifié comme moi, puis je comprends. Je comprends que... je vais mourir avant ma date. Comme Jevi.

Je secoue la tête, et vais dans la salle de bain, abandonnant Jevi au passage. Je me lave les mains, tachées de sang, puis je me débarbouille la bouche, avant de me rendre compte que Jevi m'a suivi.

- Il y a... dans la salle de réveil... dans un placard... fermé avec un... cadenas... faut que tu... trouves la clef... que tu l'ouvres... et que tu prennes... du... Nembutal... s'il te plaît... me supplie-t-il.

Je sais très bien ce que c'est. Et je n'ai aucune envie de lui donner ça. Parce que je sais que l'on a pas le droit. Que c'est interdit en France. En trop grande dose. Même les médecins n'ont pas ce droit.

Je n'ai même pas envie de prévenir Kim pour le caillot de sang. Alors, je ne le ferais pas. Parce que ça ne servira qu'à m'obliger à faire beaucoup d'examens, alors que je pourrais mourir demain.

- Jevi... je ne peux pas ! je lance.

- S'il te... plaît... souffle-t-il, en se mordant la lèvre.

Je secoue la tête, et ferme les yeux. Dois-je le faire ? Aucune idée.

J'hôche la tête en plongeant mon regard dans le sien. Je le ferais, si c'est ce qu'il veut. Ce qu'il veut me dire, c'est qu'il ne veut pas souffrir, qu'il veut quitter ce monde en paix, sans avoir de machines qui bippent autour de lui sans arrêt, sans médecins pour essayer de le sauver.

- Où sont les clefs ? je demande.

- Bureau... de... Kim... premier placard... à gauche... chuchote-t-il.

Je sors de la pièce, et entre dans le couloir. Il y a quelques lumières de secours, en revanche, aucune trace d'infirmiers, de médecins, ou de Kim. C'est bizarre. J'atteinds le bureau de ce dernier, et attends devant la porte quelques secondes pour entendre s'il y a du bruit. Pas de bruit.

L'idée que des caméras me surveillent m'effleure vaguement l'esprit, mais je ne suis sûr en aucun cas qu'elles marchent. Cependant, je m'en doute un peu, surtout dans le bureau de Kim.

J'abaisse doucement la poignée, et ouvre la porte, non-fermée à clefs. C'est le noir total. Je louche sur le placard à ma gauche, sans allumer la lumière, et l'ouvre. Je prends du temps pour chercher, avant de trouver un panneau réservé aux clefs.

Bon sang, il en a, des clefs ! je pense en silence.

Je parcours des yeux le panneau, avant de trouver ce qui m'intéresse :

Salle de réveil, placard 1, cadenas.

C'est ça ! Je la prends, et la fourre dans ma poche, avant de tout refermer comme il le faut.

Je sors du bureau, rabas ma capuche pour ne pas que l'on me reconnaisse, et essaie de rejoindre ma chambre. Malheureusement, je bute dans quelqu'un en chemin, qui s'avère être un Kim pas-très-content.

Paralysés /BXBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant