Une odeur de papier brûlé

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Ce monde est cruel.

Il est fait de cahiers vierges, de pages blanches et de stylos vides.

Hier encore un de mes confrères est parti en fumée, sous les yeux satisfaits des patrons.
C'est ainsi qu'on appelle ceux qui font respecter cette loi qu'ils chérissent tant.
En effet les livres, comme ils le répètent sans cesse, sont une perte de temps autant pour l'auteur que pour le consommateur. Ils répandent des idéaux faussement fondés, des avis qui ne conviennent pas à la société, remuent le passé inutile et honteux, créent des univers sans intérêt et rendent les gens trop libres de leur pensées.
Si ce que nous écrivons n'est pas destiné à une personne, sous cachet et à but informatif, nous sommes consumés par le feu. Tout ce qui est écrit est contrôlé pour ne laisser passer que les lettres dites "utiles".

Mon ami était de ceux qui ne sont pas d'accord et le montrent. Au début il se rebellait discrètement, étant parvenu à rédiger un recueil qu'il avait recopié en plusieurs exemplaires et avait distribué à plusieurs de ses amis en signant "la peur des patrons". Évidemment ça a fini par leur tomber dans les mains. On a promis à un de ces fameux amis une généreuse somme contre le nom de cet homme jugé hors la loi. Que ne ferait pas un homme misérable contre un joli sac de pièces ?

Alors ils l'ont attrapé. Mon ami n'a rien fait pour s'enfuir. Au contraire. Il voulait que ses bourreaux le laissent marcher devant, vers son bûcher, fier comme un coq. Tout au long de sa marche qui ne dura pas si longtemps, il criait à s'en écorcher les cordes vocales ses textes et des rimes. Et il ne s'arrêtait jamais malgré les coups des patrons qui tentaient de le faire taire en lui frappant le visage ou l'estomac.
Même lorsque le feu lui consumait la chair il criait encore plus fort, entre deux hurlements de souffrance.

Même si aujourd'hui ma main tremble d'impatience et mon esprit est plein de mots coincés au bout de mes doigts, j'ai trop peur de la mort pour faire preuve du même courage que mon camarade. Fut un temps, je défiais la mort sur le papier, la narguant sans gêne. Mais aujourd'hui rien n'est plus pareil. La mort hante toutes les âmes torturées comme la mienne, les mots ne pouvant jaillir ni de la bouche ni de l'encre.


Alors je laisse ma plume périr, mon encre sécher et mon papier moisir.

Mais quand la nuit tombe, j'attrape ma dague et grave les murs.

13/01/2019

VagabondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant