Une chape noire enguirlandée de spots lumineux bâchait une scène de spectacle ; deux guitaristes, un bassiste, un batteur se déchaînaient, en sueur. Le public entassé dans un carré de prairie s'extasiait, les corps exultaient. Myuzu et moi, on se sentait oppressé par la foule en liesse ; nos amis se réapprovisionnaient en bières et autres cochonneries près des food trucks. Nous avions pris le train à sept heures du matin ; direction : le festival « Pointe du Triangle ». Une aubaine. Un prétexte qui me permettrait de dormir deux jours complets avec Myuzu, dans des sacs de couchage pourris. Et tout se goupillait à merveille. Ce dernier avait accepté de nous accompagner lorsque je l'avais revu le seize juillet et que nous étions allés au cinéma. Ce jour-là, il avait mis ses converses bleu clair. Nous avions regardé un film d'auteur américain actuellement en salle. Il avait beaucoup pleuré. Des capillaires sanguins cerclaient ses pupilles comme deux soleils rouges que j'avais eu le sentiment de redécouvrir ; une nouvelle partie de lui s'était déshabillée devant moi. Sa sensibilité exacerbée ; ses larmes, pareilles à la rosée revêtant brins et pétales, avaient chu sur le champ pâle de sa peau.
Le quatuor avait quitté la sphère des représentations ; un vieux groupe de rock que je ne reconnaissais pas avait pris le relais. Mes jambes souffraient leur état statique, j'en avais assez, la faim me tenaillait le ventre. Myuzu m'emporta hors de cette cacophonie ; nous nous évadâmes de l'étau asphyxiant. Je m'éventai. Il pressa mon avant-bras et ses pointes de pieds le grandissant, colla sa bouche à mon oreille :
— Tu en avais assez, pas vrai ?
— Un peu. Et toi ?
Il afficha une mine mutine, mais resta coi. Je ne réitérai pas ma question, il se dirigea vers un chapiteau zébré rouge et blanc qui servait des gaufres sucrées. Myuzu est un mystère. Je lui emboîtai le pas. Nous récupérâmes Sacha, Aimé, Isaac et nous retournâmes à notre campement. L'aire de repos des tentes quechuas vertes, rose fuchsia, orange citrouille ; des hamacs, des nappes de pique-nique ; des linges, T-shirts et bermudas crottés. Je me vautrai sur une chaise de camping et cueillis une tige herbacée que je coinçai entre mes dents. L'épi roussâtre de la graminée éraflait la coupole d'azur dominant la campagne bleue. Je repérai un bateau dont la coque, sans pont, s'appariait à un nuage grumeleux, le munissant ainsi d'une voile saugrenue qui estompait des miettes du firmament. La proue se devinait aux contours évasifs, avec une chevelure arachnéenne, une queue de poisson filandreuse, des seins nus disproportionnés. La figure s'effaçait déjà lorsqu'Isaac me demanda :
— C'était bien après ?
— Bof...
— Heureusement qu'on est parti avant, commenta Sacha.
— Carrément. Léo a détesté.
— Waouh ! tu exagères.
— Absolument pas, tu aurais vu ta tête, s'esclaffa Myuzu.
Frustré, je lui tapai la hanche. Il tenta de me repousser, perdit l'équilibre et chuta au pied d'Isaac. Je m'allongeai. Le bateau s'était dissous. Je souhaitai qu'il pleuve. Que les précipitations noient les pâturages, qu'elles nettoient les cultures, les fourrages, qu'elles rincent les assemblées, qu'elles épurent les perspectives. Je tendis vers Myuzu l'épi mâchouillé :
— Poule ou coq ?
— Coq.
— Tu connais le jeu ?
— Oui.
Je pinçai la tige que je fis glisser entre mon pouce et mon index chargés de recueillir le lot de petites graines qui formèrent bientôt une boule plus ou moins compacte, relativement ronde comme un œuf de poule.
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Parmi la multitude des toiles
RomanceC'est l'histoire de Léo qui a un gros crush sur Muyzu. Ils ne se connaissent pas. Pas encore. Il cherche à comprendre. Et puis, tout est déjà là. Depuis le début, très certainement. Ils cherchent toujours. *** "Parmi la série de peintures, il y e...