Freedom

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Sur Beak Street, peu de monde, je diminuai mon allure peu à peu tout en jetant des petits coups d'œil derrière moi et un début d'apaisement s'installa au fur et à mesure que j'avançai. Encore un petit effort et j'atteindrais ma destination .

Des restaurants à la suite des uns des autres, très peu de magasins et puis d'un coup sur ma gauche, la rue de toute mes espérances, celle dans laquelle je pourrais me réfugier tranquillement, me faisant un peu oublier aux yeux de Stewart. Une enseigne en forme d'arche au milieu de la rue m'indiquait que je ne m'étais pas trompée : Carnaby Street.

Je m'arrêtai enfin de courir, les deux mains sur les genoux je tentai de reprendre mon souffle. Je me mis à rire en secouant la tête, fière de mon coup. Moi qui n'avais rien d'une aventurière. Un véritable exploit. Des souvenirs douloureux remontèrent à la surface, des souvenirs de crainte, de peur qui m'avaient poussés à fuir et à me réfugier dans cette ville. Je gardai au fond de moi ce manque de confiance qui avait fini par s'enraciner jusqu'au doute.

Supporter ce harcèlement dont j'avais fait l'objet pendant des mois, forcée à me cloîtrer chez moi fut l'épreuve la plus douloureuse de ma vie. Depuis, j'avais du mal à accepter que l'on m'impose les choses, que l'on me contraigne, que l'on me retienne captive. J'étais ici pour réapprendre à vivre et à respirer. Rien n'aurait pu aujourd'hui m'en empêcher. Je regardai autour de moi et me mis à sourire.

Ici tout le monde se fichait bien de qui je pouvais bien être ou même de ce que j'avais vécu. Je n'étais personne. Je n'étais l'obsession de personne. Je n'étais que moi avec une soudaine envie de le crier en plein milieu de cette rue aux façades multicolores et aux magasins éclectiques. De grandes marques se mélangeaient aux vendeurs de tee shirts et casquettes pour touristes, aux chaussures à talons compensés, aux vêtements pour punks et aux pubs qui avaient fleuri depuis ma dernière venue.

L'un deux attira mon attention : le Shakespeare's Head qui faisait l'angle de la rue. A l'une des fenêtres, un mannequin a l'effigie de l'auteur britannique, surveillant le moindre visiteur dans l'attente d'une inspiration soudaine pour une nouvelle pièce soufflée par la vie de quartier qu'il aurait pu parodier. Je m'y arrêtai pour déjeuner.

 Un Fish and Chips et une bière. Typique mais efficace. Le beau temps se chargea d'apporter la touche finale à mon tableau. Mes lunettes pour protéger mes yeux bleus, me voilà bien installée pour laissait le soleil caresser mes joues tout en buvant ma pinte.

Les rues piétonnes m'assuraient la tranquillité dont j'avais besoin. Les yeux fermés je me concentrai sur le bruit de la rue, sur les odeurs notamment celle du pub, unique en son genre. Un mélange de friture et de cannelle, inimitable. Je dégustai mon plat tellement authentique. Que de clichés depuis mon arrivée ! mais j'éprouvais le besoin de me sentir chez moi, de me réapproprier ce que j'avais laissé si longtemps mis de côté. Je me réservais pour plus tard l'occasion de découvrir tous les secrets de cette ville dont le cœur faisait si fortement battre le mien.

Cette langue que j'avais fini par maîtriser à chacune de mes visites moins fréquentes au fil de la vie mais l'amour et l'attrait pour cette capitale à jamais intacts.

Là, sur cette terrasse, dans une béatitude parfaite, la tentation de faire un petit somme m'envahit. Mais l'envie de sentir sous mes pieds le bitume fut la plus forte. Je sortis mon plan pour vérifier mon itinéraire. Direction Piccadilly Circus, Leicester Square, Covent Garden, Trafalgar Square et Westminster.

J'allai quitter les rues piétonnes, sûres mais je savais que je pouvais être tranquille. Une longue et belle promenade s'offrait à moi.

Jusqu'à Piccadilly Circus je restai dans les petites rues secondaires. Sur place, après avoir pris quelques photos, je m'affairai à quelques emplettes au Trocadero. Je n'étais pas très originale dans mes achats mais le plaisir que j'avais à acheter ces futiles babioles fut incommensurable.

J'entamai le plus sereinement du monde ma longue marche sur Covent Garden, m'engouffrant à nouveau dans les petites rues moins fréquentées qui me mèneraient d'abord vers Leicester Square.

Ah !! Leicester Square et ses statues, Charlie Chaplin pour ne citer que lui. Et hop un selfies. Je continuai mon exploration oubliant les tensions que j'avais pu créer ce matin, laissant mes pieds me guider instinctivement, je savais exactement où j'allais.

Covent Garden apparut enfin sous mes yeux. J'aimai cet endroit où nous allions souvent assister avec Sarah aux spectacles de rues multiples qui donnaient un côté décalé à la ville. Je m'attardai sur certains, amusants et finalement me pausai au cœur même de la Piazza. Je repérai un coffee shop dont j'affectionnai particulièrement les cappuccinos et m'installai à une petite table à l'extérieur, profitant ainsi d'un groupe de musicien.

Un œil à ma montre. 17 heures déjà. Soupir.

Fouillant dans mon porte monnaie, je laissai quelques pièces signe de ma satisfaction à la fin de leur prestation.

Je n'avais aucunement envie de rentrer mais il fallait néanmoins que j'y songe. Mon estomac se noua à cette idée. Comment allais-je être accueilli ce soir ? Peut être qu'en rentrant le plus tard possible je n'aurai pas à affronter Stewart. Cette idée me plu.

Je me résignai à rejoindre ma ligne de métro. Mon plan m'en indiquait une sur Westminster Bridge . L'occasion était trop belle et je mis à marcher en direction des maisons du parlement et de sa légendaire tour: Big Ben.

Mes pieds accusaient la fatigue des kilomètres que je leur avais imposés. Mais l'idée même de prendre un bus ne m'effleura pas l'esprit par crainte de perdre le moindre détail. Je passai la petite église de St Martins in the Field et arrivai sur Trafalgar Square. Tout était exactement comme dans mes souvenirs excepté pour une chose : l'absence de pigeons. Je me souvins de tous ces oiseaux peu sauvages qui venaient se poser sur nous à la vue d'un simple quignon de pain. Il pouvait y en avoir des centaines à l'époque. Nos cris retentirent dans ma tête et le souvenir de Sarah courant dans tous les sens pour les faire s'envoler me fit sourire.

Néanmoins, cette place était toujours aussi belle et les quatre lions situés aux quatre points cardinaux toujours aussi majestueux. Je les bombardai avec mon appareil. Une autre image me revint à l'esprit : Sarah et moi essayant de monter sur l'un d'entre eux. Avec le recul je me dis qu'on avait vraiment peur de rien mais on avait du y parvenir car j'avais une photo de nous deux assises dessus faisant les pitres.

Sur Whitehall, une artère principale aux bâtiments blancs de style victoriens les uns à la suite des autres. Sur ma droite, je passai devant deux gardes à cheval, impassibles.

Les chevaux noirs à la robe brillante, à la crinière bien brossée restaient immobiles dans une cabine à espace réduit grattant le sol de leurs sabots de temps en temps histoire de se dégourdir un peu les pattes. Quelle discipline!

Levant la tête, je la vis. Big Ben. Posée là à côté des maisons du parlement.

Je m'avançai tout prés de la tour, je ne pus me lasser de la regarder, de la prendre en photos en long en large et en travers. Même le ciel me donnait ses plus belles couleurs. Derrière moi, le London Eye que je n'avais jamais fait mais duquel j'imaginais une vue imprenable. Je pensai alors à Sarah, à sa venue. On pourrait peut être le faire ensemble. Je me mis à soupirer, il me tardait déjà qu'elle soit là.

Je restai là au milieu des passants trop affairés  à traverser pour s'occuper de moi ou pour se rendre compte de la beauté de ce bâtiment faisant partie du décor. Et contre toute attente, l'horloge se mit à sonner : 18 heures. J'eus envie de sauter de joie à écouter cette mélodie mais je me contentai de sourire en haussant les épaules. Mon regard se posa sur la rue en pleine heure de pointe et mon visage se figea à la vue d'une Jaguar aux vitres teintées qui se rapprochait . Tétanisée, je fis un pas en arrière puis deux pour finalement aller trouver refuge dans un magasin. J'attendis, inquiète, que la voiture parte. Ce qu'elle fit.

Il fallait que je rentre. Cela devenait impératif de toute façon je n'avais pas le choix. Je devais prendre mes responsabilités. Il était temps de rendre des comptes

Je m'avançai sur Westminster Bridge pour rejoindre la station de métro qui me ramènerait.

R.E.A.LOù les histoires vivent. Découvrez maintenant