Chapitre 18 : Chez moi

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Lorsque la courbe du soleil atteignait un certain point, je me levai pour rejoindre le pont, au centre du navire. Alors même que mon attention n'y était pas, j'avais inconsciemment répondu présent à ce rendez-vous quotidien. J'attrapai ce qui avait été l'arme de Gernot, commençai à l'envoyer face à un ennemi invisible. Je ne savais pas ce qui m'avait attiré chez cette arme brisée, dépossédée de la moitié de son tranchant. Sans réelle valeur désormais, elle en avait gagné plus que les autres à mes yeux.

Au fil des enchaînements, l'aisance avec laquelle je la maniais s'améliorait. Maintenant échauffé, la lame fouettait l'air de plus en plus violemment. Peu importe la raison, j'avais décidé de dompter cette lance. Qu'importe mes échecs passés, j'allais vaincre mon horreur des armes avec celle-ci. Pour une fois, la motivation bien au rendez-vous, j'avais gagné peu à peu de l'assurance. Et, elle m'y avait aidé. Elle n'avait pas été tendre, loin de là. Mais je devais avouer que le résultat s'en faisait ressentir. Pourtant, aujourd'hui, elle ne viendra pas, comme peut-être les jours à venir.

Je repris mon souffle. C'était compréhensible. Et son absence ne devait rien changer. Je tenais à conserver cette habitude, pour être prêt. Prêt à quoi ? À tout. Ou du moins le plus possible. Mais peut-être qu'au fond c'était aussi pour une rencontre, ou plutôt des retrouvailles. S'il avait survécu, il possédait sûrement encore ce couteau qui lui avait permis de défaire ses liens, mon couteau. Alors que moi, je maniais désormais cette lance oubliée, qui m'avait permis de me battre et m'évader de ce navire ennemi, son arme. C'était presque le lien qui m'unissait à cette promesse.

C'était étrange de s'y accrocher autant, parce qu'après tout, cette réunion du destin n'allait s'en doute pas être des plus amicales. Pourtant, je n'avais pas pu m'empêcher d'espérer qu'elle se produise belle et bien. En tout cas, je ne pouvais l'oublier. Je voulais me souvenir de lui, au moins ce visage là. J'avais honteusement perdu tous les autres dans les méandres de ma mémoire. Comme si je ne les avais pas vu, ou voulu les voir plutôt. C'était plus simple à ce moment là. Alors je ne l'oublierais pas et comme promis, je l'attendrais. Le manche tenu fermement à deux mains, un mouvement encore suspendu dans les airs, je reçois un coup en plein ventre puis au niveau des jambes.

- Combien de fois faudra-t-il que je te répète les bases ?! Toujours maintenir son attention et ne jamais laisser de failles ! Surtout d'aussi flagrantes !

Zéphyr, ma professeure autoproclamée de maniement des armes, absente quasi-obligatoire de cette session d'entraînement, se trouvait désormais devant moi. Après m'avoir porté un coup du manche de sa hache au bas du ventre, elle avait enchaîné par un balayage au niveau des mollets, me surplombant désormais de son mètre soixante-dix. Éberlué, surpris ou encore douloureux auraient pu être les mots à cet instant mais je ne pus qu'être souriant face à ce retour au source, cette brutalité gentille si caractéristique de la famille.

- C'est bien parce que je fais encore des erreurs de débutants que j'ai besoin d'un prof, d'autant plus de ta qualité.

Elle afficha un air désabusé avant de rétorquer :

- Mais alors pourquoi un professeur si performant perdrait son temps à enseigner à un tel cas désespéré ?

Tendant sa hache vers moi, je vis la lame se planter à quelques centimètres de mon visage de manière assez inquiétante.

- Peut-être parce que, peu importe le niveau de son élève, c'est bien le seul qui se trouve être présent sûrement à des kilomètres à la ronde ?

- C'est vrai.

Un sourire mauvais s'installa sur ses lèvres.

- Mais ça veut aussi dire que je n'ai d'autres occupations, ni d'autres élèves à faire trimer. Donc que tu n'as pas le droit à de moments de répit.

Rolf - Une nouvelle épopéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant