Chapitre 14 : Zéphyr

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Enfin, je pouvais laisser le calme m'envahir. Je fermai les yeux pour pouvoir en prendre pleinement conscience, faire rentrer par tous les pores de ma peau l'air frais marin et sentir la chaleur des rayons du soleil s'épanouir sur mes traits. Cette sensation de paix m'avait manqué, pourtant, ça ne faisait pas même vingt-quatre heures qu'elle m'avait quitté. Je sentais le vent traverser mes cheveux, éloignant de moi la chaleur des combats et des flammes. Mais plus encore, je sentis une sensation de vide lorsque le contact sur mes joues s'en alla, me rappelant que tout n'était pas encore terminé. Cet écart qu'elle créa me réveilla enfin. J'avais repris le contrôle de mes émotions, et ce cauchemar s'éloignait de nous à chaque instant mais peu importe la distance qui nous séparerait de lui, il restait encore du chemin à parcourir avant de pouvoir tirer un trait dessus. L'oublier n'arrivera probablement jamais mais il était possible de s'en détacher comme d'un simple souvenir. J'ouvris les yeux. C'était l'heure. Comme promis, j'allais me concentrer sur elle et elle seule.

- Bon... eh bien, je crois que je vais te souhaiter une bonne nuit. Après tout ce remu ménage, on a tous les deux besoins d'un bon repos.

Elle sembla s'excuser derrière un sourire factice et s'apprêtait déjà à s'éloigner.

- Et toi ?

Elle sursauta.

- Est-ce que tu vas bien ?

Elle se retourna vers moi, le regard hésitant, toujours ce faux sourire placardé sur le visage.

- Comme tu peux le voir, je m'en suis plutôt bien sorti. Je suis simplement fatiguée.

Menteuse. Zéphyr a toujours été une fille très naturelle. Souriante et dévouée aux autres, elle apportait la sympathie de quiconque et ce malgré son côté sauvage hérité de sa mère. Mais si elle plaisait autant, c'était parce que tout cela était inné. Elle ne se cachait pas derrière quelques mensonges bien huilées ou de faux semblants. Elle était ce qu'elle était, quitte à déplaire. Ce qui n'arrivait donc pas. Ainsi, de par son caractère bien trempée, elle n'hésitait pas non plus à dire ce qu'elle avait sur la conscience. En résumé, Zéphyr n'était pas une menteuse.

Du moins, c'était l'image qu'on avait d'elle. Mais en apprenant à la connaître davantage, on pouvait se rendre compte que cette image était fausse. Sa première description correspondait bien pourtant. Elle était souriante et dévouée aux autres. Non, Zéphyr souriait car elle était dévouée aux autres. Elle n'était pas si naturelle qu'elle semblait l'être. Elle était simplement une très bonne menteuse. Pour faire plaisir aux autres, elle se cachait derrière un masque qu'elle s'était construit. Elle devait toujours être au-dessus de tout, comme cela rien ne pouvait l'atteindre et personne ne pouvait s'inquiéter pour elle. Malheureusement, le naturel revient toujours au galop, et personne n'est inébranlable. Ainsi, il n'y avait plus qu'à fuir. Tu n'étais pas fatigué de cette bataille là, mais de celle que tu t'étais imposé face à tes propres sentiments. J'étais faible. Bourré de peurs et d'états d'âme, je n'avais jamais su y faire face et laissais tout être lu si facilement. Toi, tu étais forte. Alors tu gardais tout pour toi.

Alors, s'il te plait, laisse-moi m'imprégner de ta force pour que tu puisses partager tes faiblesses. Laisse-moi être celui qui te fera parler et l'épaule sur laquelle tu laisseras couler tes larmes, jusqu'au jour où elles n'auront plus lieu d'être, où tu te relèveras. Laisse-moi être la personne qui te fera sourire de nouveau.

La voyant faire demi-tour, je m'étais précipité à ses côtés, la peur au ventre. Je ne savais pas comment y parvenir, mais je savais que je n'aurai d'autres chances. En la laissant s'éloigner, je permettrai à son mensonge de devenir réalité et cela, je refusais de le permettre. L'agrippant de force, elle ne put que se tourner à nouveau face à moi docilement. Plus surprise que jamais, elle ne put pas non plus m'empêcher de la prendre dans mes bras. Je devais l'être autant qu'elle d'ailleurs, pris au dépourvu par une pulsion soudaine. Si un léger silence commençait à prendre le pas sur la situation, ses yeux écarquillés reprirent leurs formes habituelles et, tout en posant ses mains sur mes épaules, prête à me repousser, elle reprit la parole.

- Pourquoi ?

Cette question résonna dans mon esprit comme un écho faisant parler mes souvenirs. Un mot, n'ayant aucun sens particulier, et pourtant si compréhensible. Cela avait toujours été un trait de sa personnalité. Lorsqu'elle ne comprenait pas une action, ou tout autre élément à portée de vue, cette question revenait toujours, inéluctablement. Comme si, alors même qu'elle restait dans le flou, elle s'attendait à ce que quiconque puisse la comprendre. Et aussi simple qu'était sa question, je ne pu répondre qu'avec simplicité, alors que mon esprit avait cherché de longues secondes la réponse sans la trouver.

- Parce que j'en ai envie.

Et comme si une telle raison lui suffisait, si son propre avis ne comptait pas, elle abaissa à nouveau les bras, les laissant pendre dans le vide. N'ajoutant rien, elle resta statique, ne permettant que le mouvement du navire et de mon corps, animer le sien. Elle ne fuirait pas. Incapable de la vaincre à une joute verbale, mon corps avait-il préféré l'entraver désespérément ? Même si la question me vint réellement à l'esprit. Les souvenirs des exploits guerriers de la jeune femme me firent vite changer de théorie. Et je compris. Je l'avais déjà exprimé. Zéphyr se préoccupait davantage des autres que d'elle-même. Et c'est ce qu'elle n'avait cessé de faire durant ses dernières heures envers moi. Ainsi, si elle pensait que tout cela était pour mon bien, elle ne s'y opposerait pas. Imbécile.

À travers cette étreinte désespérée, je pouvais sentir ses épaules droites et voir ses poings serrés. Elle était extrêmement tendue comme depuis nos retrouvailles, comme dans la cellule, comme lorsqu'une faille apparaît dans son masque.

- Tu sais... nous sommes seuls dans ce bateau. On ne risque pas d'être vu. Ce qui est pratique, en plus, c'est notre position ! Si je devais me mettre à pleurer comme une fillette, en tant que vrai mec ...ne rigole pas s'il te plait ! ...aucun risque que quiconque puisse le remarquer.

PDV externe

Les épaules de Zéphyr se soulevèrent alors, pour s'abaisser en une respiration. À bout de nerf, elle finit par relâcher la pression emmagasinée depuis des heures. Enfin, sous le seul regard du ciel, elle enleva son masque, laissant couler ses larmes pour la première fois. Tombant en silence, elles n'eurent comme seul autre témoin que l'homme aux vêtements désormais entachés par ces pleurs. Ne laissant aucun indice dans sa voix, elle ne put pourtant qu'ajouter un mot de plus.

- Imbécile...

Rolf - Une nouvelle épopéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant