les feuilles tombaient et t'étais dans le fauteuil à bascule

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"FRrrrr grrr tchchhuu"

Je roule sur mon vélo vieillit par la rouille apparaissant dans les rues habillées de feuilles orange, jaune et marron.

"clac..."

Je dérape, le sol reste humide j'ai l'impression qu'il y a des années qu'il n'y a pas eu une trace du soleil comme s'il nous boudait. Je pose un pied à terre pour retenir le vélo prêt à s'écraser au sol.

"Ahhh merde!... il faut que je songe à changer ce tourne disque..."

J'esquisse un sourire.

Je rentre dans la maison et tu portes le pull vert forêt que mamie a tricoté et brodé pour toi.

"Ce truc ne marche jamais... <I see trees of green, red roses too...> Ahhh enfin"

Je pose mes mains sur tes épaules et susurre dans ton oreille:"bouh" tu sursautes et me dis :"Eh tu m'as fait peur, il ne faut pas faire peur comme ça aux vielles personnes" mais tu finis par rire et me prendre dans tes bras.

Je suis plus grande que toi et tu détestes ça, ça te rappelle combien j'ai grandi et combien tu as vieilli et ça tu détestes.

Je décide de m'asseoir en tailleur comme lorsque j'étais encore qu'une enfant de 6 ou 7 ans et Louis Armstrong embaume la pièce, je peux, si je ferme les yeux sentir la tarte aux pommes que mamie nous faisait lorsque je venais, la cannelle était reine et dominait toutes autres odeurs. 

Tu mettais alors un disque et le "FRrrrr grrr tchchhuu"  faisait son apparition avant que Marvin gaye, Louis Armstrong, Edith Piaf, Jacques Brel et bien d'autres mettaient leurs voix sur mes visites.

Tu prenais alors mes mains dans tes mains rugueuses, aux ongles noircit par ton travail, souvent elles étaient chaudes et bienveillantes, viriles. Et tu me soulevais assez pour que je puisse mettre mes pieds sur les tiens et on tâtonnait pour savoir quel pas il fallait user pour cette chanson, tous deux piètres danseurs mais heureux. 

Mamie riait... Tu riais, je riais, nous riions tant ensemble comme elle me manque, à toi aussi elle doit te manquer je suppose.

Tu t'assois dans ton fauteuil en bois et tu te balances avec ton verre d'eau à la main. Je te regarde, t'admire, tu es un grand homme pour moi.

Tu regardes les feuilles comme si c'était les dernières dont tu auras connaissance, comme si t'allais t'envoler.

Alors je m'assois sur tes genoux tu as l'air surpris, voilà si longtemps.

Tu entoures tes bras autour de ma taille et me love contre ton torse, tu sens la mousse à rasé et l'eau de toilette.

Ton pull vert gratte ma nuque et je te demande timidement:"Comment vas-tu?", tu ne réponds pas à ma question, je sais que tu ne vas pas bien et ça me désole de te voir dans cet état, toi, cet homme que je croyais fort comme un taureau aussi vulnérable qu'un oiseau tombé du nid.

L'amour ça rends vulnérable, vrai.

Tu disais souvent que c'était ton âme-sœur, la personne qui manquait à ta vie, le cœur qui remplace la pille et je te crois.

Vous vous aimiez c'est sûr, et vous vous aimez encore au delà de la mort parce que les âmes ne se séparent jamais.

Je te demande:"Qu'est-ce qu'il va se passer?"

Tu souris et passe ta main sur mon bras tu répètes doucement dans un soupir presque inaudible:"Qu'est-ce qu'il va se passer..."

Je lui dis:"Elle t'aime tu le sais ça?

-Je le sais, et c'est sans doute parce qu'elle n'est pas présente que je suis triste

-Ne penses tu pas qu'il faut vivre pour elle? pour vous?

-Je pense que la douleur de ne pas la sentir près de moi est plus grande encore que le fait qu'elle vive dans mon cœur, avec moi, puis tu sais je me fais vieux.

-Penses tu que la mort t'apporteras la paix?

-Je le crois oui...

-Alors... C'est la dernière fois que j'entendrai le son de ta voix, que je sentirai tes mains sur les miennes et ton parfum, ce mix de mousse à raser et d'eau de toilettes? que je t'entendrais jurer sur ton tourne disque?"

Tes larmes sont prêtes à couler sur tes joues marquées par l'âge.

Je me relève et m'accroupi près de toi, ta main tremble, en fait, tout ton corps tremble.

Puis tu lâches tes premières larmes et un torrent d'eau salée dévale, et les miennes accompagnent les tiennes. 

Je sanglote et me reprends assez pour pouvoir te dire:"L'amour, ça combat tout pas vrai? Alors je vivrai pour vous deux" je dépose mes lèvres sur ton front et passe ma main dans tes cheveux courts et gris, une dernière fois.

Je récupère mon vélo et roule à en perdre toute notion d'endroit me retrouve dans des rues inconnues pour moi, je pleure toujours, mais je vivrai pour toi et mamie.


A mes soirs d'insomniesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant