Livre 2, Chapitre 6

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Markus.
Je suis inquiet pour Claire, je crois qu'elle soupçonne quelque chose, mais pour l'instant elle me laisse régler ça. Bien que sa vulnérabilité me permette de prendre soin d'elle comme un mec doit le faire avec sa femme, je n'aime pas la savoir malheureuse, encore moins si j'en suis la cause.

La soirée chez Franck a pourtant allégé l'ambiance. Voir ces petites nanas ensemble m'évoque toujours une invasion de Huns montés sur talons aiguilles. Mais leur indéfectible amitié est très importante pour ma femme. Durant un temps, j'ai cru lui suffire. Mais j'ai vite réalisé qu'en étant trop exclusif, j'étouffais sa personnalité et lui pompais sa vivacité. Je l'aime trop telle qu'elle est pour la garder pour moi seul. Je veux qu'elle continue à rayonner et soit heureuse, tout en sachant que je suis le centre de son univers comme elle est le mien.

Avec mes compagnons, nous nous sommes donc borné à soupirer, l'air attendri comme des idiots devant nos puces surexcitées, et sommes allé ricaner à l'abri dans la cuisine autour d'une bière fraîche. On les entendait rire et refaire le monde dans le salon.
Bien qu'étant de nature assez solitaire, j'apprécie ces petites soirées informelles. Franck reste mon pilier, mais j'ai immédiatement accroché avec son quasi jumeau, Mickaël, récemment rentré de Tahiti. J'aime beaucoup la gentillesse de Yann et me suis découvert beaucoup de points en commun avec Joffrey, le mari de Sandrine. À commencer par un caractère assez taciturne et une faculté à grommeler impressionnante. D'ailleurs, il m'a semblé entendre Amélia nous surnommer les grommelots. C'est une adorable peste et l'amie la plus proche de Claire. C'est aussi la seule avec qui je me sois senti à l'aise pour parler de ma séparation. Sûrement le fait d'avoir une sale expérience en commun. Même si nos histoires diffèrent, l'infidélité du conjoint provoque les mêmes sentiments et les mêmes remises en question.

Hélas, la tension est revenue dès le lendemain en recevant un nouveau sms de Marianne m'annonçant sa venue en ville et la nécessité de se voir. Huit-cent kilomètres pour se voir entre deux portes ? Que lui prenait-il ? J'ai cédé et lui ai indiqué un café en centre-ville. Puis j'ai effacé la discussion.

À l'heure dite, je n'en mène pas large. J'ai accepté de voir mon ex sans aucune envie de le faire. Nous ne nous sommes jamais recroisés depuis mon départ pour l'Afghanistan. Toutes les démarches se sont déroulées par le biais de nos avocats. Elle m'a évité tout comme je l'ai évitée. En vérité, je redoute notre entrevue. Je ne sais pas comment je vais réagir. Colère, indifférence, nostalgie, retour de flamme ? S'il y a bien une chose qui me fiche la frousse, c'est de ressentir encore quelque chose en la voyant. Ça ne s'avoue pas, ces choses-là. C'est glauque. Et ce que je redoute plus que tout, c'est qu'en réagissant à sa présence, je me montre déloyal vis-à-vis de Claire. J'aurais l'impression de la trahir alors que je l'aime à en mourir.

Il est temps que nous tirions un trait sur notre mariage raté, mais je mesure l'étendue de ma lâcheté en ayant repoussé ce moment au maximum. Ce n'est guère encourageant. Du coup, je traîne le pas jusqu'au café où nous avons rendez-vous.
Attablée en retrait devant une tasse fumante, Marianne paraît nerveuse et torture une cigarette neuve qu'elle fait taper contre le marbre. Elle fumait avant notre mariage. Il semble qu'elle ait repris cette manie.

J'essaie d'analyser mes sentiments. Au début, c'est assez confus. Je la trouve très belle. Toujours aussi belle. Mais à mon grand soulagement, je la regarde comme j'admirerais une œuvre d'art ; sans fascination malsaine mais avec intérêt. Elle a toujours eu le visage doux d'une peinture préraphaélite et de grands yeux aux reflets rêveurs. Cette fois, je remarque en plus le pli dur de ses lèvres et perçois la raideur du granit derrière l'onctuosité de son physique. Marianne n'est pas une femme pour moi. Elle ne l'a jamais été, et dans un sens, j'ai été l'artisan de mon propre malheur en voulant la retenir. C'est comme si le voile qui m'avait aveuglé se déchirait enfin. Elle ne me touche pas, ne m'émeut pas. Mon corps ne réagit pas non plus. Ni palpitation, ni désir, ni même brasier de colère. Je me sens simplement gêné d'être là à ne rien ressentir. Je l'ai aimée, je m'en souviens, mais je ne sais plus pourquoi. C'est ce qui me donne la force d'avancer vers elle et de la saluer.

Cœur d'homme, âme de soldat 4 : L'homme enragé.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant