Livre 2, Chapitre 9

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Claire.
Je tombe de sommeil. Notre dispute a pompé toute mon énergie. Cela arrivait souvent, à l'époque. Celle-ci m'a projetée des mois en arrière, les sentiments écorchés en prime. C'est comme si on griffait mes émotions et qu'elles restaient à vif pour me rappeler la difficulté d'aimer. La blessure est très douloureuse. Heureusement, malgré nos caractères entiers, nos disputes restent assez rares.

En rentrant, je suis allé noyer mon chagrin sous la douche. J'y suis restée jusqu'à ce que les larmes se tarissent. Lorsque Markus est entré dans la salle de bain pour l'utiliser à son tour, j'ai senti son envie de me prendre dans ses bras. J'ai décliné toute tentative en secouant la tête. Mon âme est blessée, j'ai besoin de temps.

J'ai erré en ruminant avec Croquette dans les bras, substitut griffu de mon grizzly adoré. Puis je l'ai rejoint, parce que j'avais besoin qu'il me communique sa chaleur et sa force. C'était indispensable pour dépasser ce qui s'était passé. Hélas, cela ne change rien à la scène qui s'est produite cette après-midi. Elle a brisé quelque chose entre nous. Je devrais être habituée, à force. Nous avons traversé tant de conflits avant d'être ensemble... Je sais que Markus est mort de honte et qu'il cherche un moyen de s'excuser autrement qu'avec des mots. Je ressens sa peine, c'est le miroir de la mienne. Et je le connais assez pour n'avoir aucun doute sur sa volonté d'expliquer ce qui s'est passé avec son ex, même s'il a besoin de temps pour le faire.

Il n'est pas le seul fautif dans l'histoire. Malgré mes grandes déclarations sur la confiance, je n'ai pas hésité une seule seconde à remettre en cause sa fidélité, tout en sachant combien il y était attaché. C'était destiné à lui faire mal, vraiment mal. Cela en dit long sur mes propres angoisses. Certes, ces sms prêtaient trop à confusion pour les ignorer. Mais s'il m'affirme qu'ils sont sortis d'un contexte dont j'ignore tout, je le crois. C'est ainsi.

Je ne sais pas comment gérer ce qui s'est produit ensuite. D'un côté, je trouve cela terrible. S'il a su arrêter de lui-même, l'intention était là et elle n'avait rien d'un jeu entre adultes consentants. De l'autre, je ne peux m'empêcher de penser au nombre de fois où il m'a mise en garde. On ne joue pas avec le feu et j'aurais dû me méfier. Markus est comme un tigre enfermé dans un cirque. Il reste dangereux malgré sa docilité apparente. Ce n'est pas pour rien s'il en a encore pour des mois de thérapie, peut-être même des années avant de s'en sortir complètement.
Je crois que notre erreur a été d'enchaîner les épreuves sans lui laisser le temps de digérer les étapes. Cela aurait été plus simple de ne pas le connaître avant de le fréquenter. Nous n'aurions pas eu à traîner un passif aussi lourd, s'il n'avait jamais eu à se battre contre moi pour obtenir des miettes d'intérêt. Le temps a permis de régler certaines choses, mais il reste du chemin. Professionnellement, Markus a conservé ses capacités opérationnelles. Il a été souvent sollicité ces derniers mois. Mais psychologiquement, il reste hypersensible. Du coup, ça entretient son instabilité. Une séparation temporaire serait bénéfique. Un vrai changement d'air. Il lui faudrait une mission tranquille, un territoire francophone, par exemple. Bien-sûr, le plus dur va être de le faire monter dans l'avion. S'il panique en craignant de revivre son retour d'Afgha, je doute que ce soit une réussite. À moins que... Et si je partais de mon côté ? Après tout, je sais qu'ils recherchent du personnel. Deux départs en opération, à des milliers de kilomètres l'un de l'autre, la tête dans le guidon à ne se consacrer qu'à la mission ? Bon. Il faut déjà qu'il arrive à dépasser cette terreur d'être quitté. Ce n'est pas gagné.

Je commence à établir une liste des choses à faire. C'est mon truc, les listes. Ça rend fou Markus qui fonctionne au jour le jour. Tout d'abord, on met à plat l'affaire Marianne et on s'en débarrasse. Ensuite, discuter sérieusement de nos limites mutuelles acceptables, puis d'une séparation grâce à un départ en opex. Ça va tourner à la lutte mais plus j'y pense, et plus l'idée me semble bonne. Je veux que notre histoire dure, mais pour que ça réussisse, on doit reconstruire sur des bases saines.

Cœur d'homme, âme de soldat 4 : L'homme enragé.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant