23. Supermarket

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Je le vois s'écrouler petit à petit devant mes yeux, ses expressions se succèdent à une vitesse fulgurante que je m'y perds pendant quelques minutes.

—Jaeden! Je tente de le faire revenir sur terre en vain.

—Je... Le test est positif, se réitère-t-il en murmurant.

—Je suis vraiment désolée...

Je me prends une tape mentale sur le front, comme si s'excuser changerait quelque chose. Et puis il le mérite, il souffre autant que moi. Mais ce qui me dérange c'est de remarquer qu'il a l'air tellement humain comme ça, anéanti et vulnérable, même après ce qu'il m'a dit au pont d'Easton, je ne pensais pas le voir autant... Perturbé.

Il semble se ressaisir de sa longue transe silencieuse en esquissant des gestes vers la porte.

—Je... Je vais y aller.

Aussitôt, il quitte la pièce me laissant engloutie dans la solitude et assaillie par mes pensées.

En sachant pertinemment que je ne devrais pas ressentir ce genre de sensation pour cet idiot, je ne peux pas m'empêcher de penser que sa vie est triste pour lui. Il a très bien fait deux années de prisons, pourtant au lieu de partir loin de cette ville et de tous ces péchés, il est revenu juste pour une raison qui ne tient même pas sur ses deux jambes: m'aider. Je déteste l'admettre mais même entre les soirées, les sorties, les séances et son comportement à la limite du supportable, il m'est quand même d'une grande aide.

N'empêche d'un côté, je voulais qu'il souffre alors pourquoi? Pourquoi ce sentiment de pitié cherche à m'arroger?

Ma tête est encore lourde aujourd'hui. Je déteste cette sensation. Voilà le résultat d'une veillée nocturne devant The Good Doctor. En me levant péniblement de mon lit, je constate que je vais être en retard si je continue sur cette cadence, mais qu'importe, pas de Jaeden pour jouer les fanfares dès le petit matin.

En parlant de ce dernier, il n'a pas donné de signe de vie depuis deux jours déjà. Il doit sûrement être perdu, et moi je ne sais pas trop si je dois plutôt me réjouir ou m'inquiéter de ce drôle de comportement.

Je secoue ma tête automatiquement.

Mais depuis quand je m'inquiète pour lui ?

A pas de zombie, je me dirige vers mon réfrigérateur pour y extirper catégoriquement le pain au chocolat et aux raisins —un mélange curieux entre un pain aux raisins et un pain au chocolat que j'ai acheté à la boulangerie d'à côté. Mon besoin de conserver les viennoiseries dans un frigo me sidère moi même, je veux dire, qui garderait un pain dans son frigo ? Apparemment, moi.

Je prends une bouchée de cette étrange —mais délicieuse recette, puis remarque avec effroi le désert qui s'est installé dans l'appareil. Il va falloir que je fasse des courses.

Je soupire. Quelle partie de plaisir ! Notez le sarcasme.

En fermant le frigo, l'écriture de Jaeden attise mes orbes marron :

"Je suis parti faire des courses, je reviens bientôt.
Jaeden."

Quel nabot ! Il y a des papiers pour écrire !

Mais au fond de moi, je l'avoue, j'espère tout de même qu'il va bien.

J'ai décidé de ne pas rester longtemps à l'institut pour mon habituel rituel de révisions après les cours pour acheter quelque chose pour combler le congélateur ; de toute façon j'ai déjà bien appris ce matin donc je ne pense pas que ce soit la peine d'y revenir deux fois.

Le soleil brille en son plein, les passants me semblent plutôt heureux pour un mardi. Ou peut-être, ils sont juste contents de rentrer chez eux après une dure journée de travail. Le pont d'Easton est calme contrairement aux périodes de vacances ou de fêtes et me remémore le soir du jeu de 'lancer de cailloux', lorsque je passe dessus. Mes pensées divaguent presque instantanément vers le personnage qui a défait ma vie, pour ensuite tenter de la reconstruire.

J'y repense souvent à la raison pour laquelle il a voulu revenir. Cela semble toujours aussi insensé pour moi et plus je cherche à comprendre, plus je m'enfonce dans ce mystère irrésolu.

Oh mon Dieu ! Suis-je en train de changer d'opinion à propos de Jaeden ?

J'accélère mes pas en direction du supermarché pour ignorer cette question tordue que je me suis posée à moi-même. Sous n'importe quel prétexte, je ne modifierai ce que je pense de lui : un être abominable, sans cœur et égoïste.

L'odeur renfermée et industrielle du magasin me titillent le nez lorsque mon pied passe le seuil du magasin tandis que les personnes autour de moi me mettent mal à l'aise. Me regardent-ils, parlent-ils de moi, savent-ils ce qu'il m'est arrivé ?

Non, Lindsey ne te fais pas de films, personne ne te scrute.

Je me dirige vers les rayons 'Produits Laitiers', ne mets pas trop de temps à les trouver car je suis assez habituée du supermarché malgré ma réticence des lieux publics et du shopping.

Ma crise de paranoïa passée, je me remets à réfléchir correctement. Je devrais commencer par le lait vu que je suis dans le bon rayon. Je rassemble les briques des laits en cinq et ce n'est qu'après que je me rends compte que je n'ai pas pris de caddie. J'expire fortement de ma bêtise et me mets à la trace d'un caddie libre.

Sur mon beau chemin, avec du lait dans les bras —j'aurais dû les reposer, je rentre en collision avec quelqu'un et ironie du sort, il se trouve que c'est quelqu'un que je connais.

—Lindsey ?

Sa voix mélodieuse me rafraîchit la mémoire.

—Léa ?

Je lui offre un sourire tandis qu'elle paraît étonnée. En effet, me voir avec cinq briques de lait éparpillés au sol dans un magasin industriel ne semble pas commun des mortels.

—Je suis vraiment désolée, je n'ai pas regardé ou j'allais, elle se penche pour ramasser mes provisions.

—Non, c'est moi, enfin qui se trimballe avec cinq briques de lait en slalomant entre les rayons?

Son rire allège l'atmosphèregênée qui s'est installée, ou plutôt qui s'est installée dans ma propre tête,alors je décide de l'inviter à prendre un verre avec moi. Elle accepte polimentet nous terminons nos courses ensemble pour payer à la caisse puis ensuitesortir du supermarché en direction d'un petit café lambda.

LindseyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant