Chapitre 5

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Deux jours plus tard, à neuf heures précises, Leopold attendait devant l'hôtel où il avait logé quelques jours à son arrivée à Paris. Il avait entendu des coups de canon, dont il supposa qu'ils marquaient l'ouverture de l'Exposition. Il avait passé ces deux journées à errer dans les bois, et à roder autour de la tombe, pour surveiller qu'elle n'avait pas été découverte. Il avait fait bien attention de ne pas rôder près des endroits où travaillaient les filles de joie, pour ne pas être tenté d'en enlever une autre. Il patienta une demi-heure, pour voir enfin Magda sortir. Elle s'excusa, expliquant que son oncle n'avait pas voulu la laisser partir avant qu'elle ait fini de tout nettoyer.

Elle l'entraîna vers le Nord, à travers des petites rues qui lui servaient de raccourci, pour déboucher sur le Trocadéro. Le jeune homme leva les yeux et s'arrêta net devant le mastodonte de métal qu'il contemplait.

« - Mais qu'est-ce donc ? s'exclama-t-il en anglais.

- Le clou de l'Exposition, on l'appelle la Tour Eiffel, du nom de son bâtisseur.

- Et à quoi cela sert-il ?

- Elle n'a pas d'utilité particulière, mais on m'a dit que d'en haut, on peut contempler tout Paris. »

Il n'était pas contre le progrès, il avait pu admirer le chantier du Tower Bridge, commencé trois ans auparavant, et qui promettait d'être un modèle de réussite du progrès. Mais il ne voyait pas l'utilité d'utiliser du métal pour en faire un amoncellement en plein cœur de Paris.

« - Ce n'est pas une simple tour, reprit Magda, elle commémore aussi le centenaire de la Révolution. La fin de la tyrannie monarchique. »

Il entendit à son ton qu'elle répétait ce que quelqu'un lui avait dit, et qu'elle ne devait pas être très au fait des réels mouvements politiques en France à la fin du XVIIIe siècle. Il ne lui fit donc pas de réflexions sur ce qu'il pensait d'une fête pendant laquelle on célébrait la chute de la royauté. En tant que britannique, il ne pouvait concevoir l'Angleterre sans la reine Victoria.

Elle l'entraîna plus avant, où se pressaient déjà des milliers de parisiens et étrangers, vers les guichets. Il remarqua des policiers postés à plusieurs endroits, qui tentaient de contenir l'ardeur des passants. Magda tendit timidement deux francs au guichetier en murmurant le chiffre deux et ils purent entrer. Elle le prit par le bras, et tenta d'avoir une démarche assurée de gente dame. Il y avait tellement de choses à voir qu'ils devaient sans cesse tourner la tête pour ne pas manquer de voir les danseurs javanais, les peintures, les sculptures, les inventions de toutes sortes, qui sautaient aux yeux partout où le regard se posait.

La foule hébétée ne savait plus où donner de la tête. De nombreux auteurs et personnes célèbres étaient présents, mais ils n'auraient pas su les distinguer de badauds ordinaires. Beaucoup de gens avaient fait le déplacement, mais le prix des billets ne permettait pas à tous de venir admirer la culture. Il pouvait voir des personnes de tous les continents, ici une délégation aux yeux bridés, là-bas un groupe à la peau mate, et plus loin encore des personnes aux habits bariolés de couleurs vives, les femmes portant un point rouge sur le front.

Magda pointait du doigt tout ce qu'elle trouvait intéressant, c'est-à-dire qu'elle passa la matinée la main en l'air. Vers midi, il la supplia de quitter cet endroit bruyant, dont les odeurs de transpiration mélangées aux mets divers commençaient à emplir l'air. Elle l'emmena donc plus loin, dans un petit café, où ils commandèrent le plat le moins cher de la carte, avec un café pour elle et un thé pour lui. Pendant qu'ils mangeaient, elle tenta de l'éduquer à l'histoire de France, lui narra à sa manière les grandes époques, en répétant ce qu'on avait tenté de lui inculquer.

Il ne l'avait pas interrompue depuis le début du repas, mais il se décida à poser une question.

« - Qui t'as appris tout ça ? »

Un Anglais à ParisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant