Tôt un matin, Hector, chat noir, se leva et partit à gauche.
Pas suffisamment toutefois pour être totalement à l'Ouest, mais juste assez quand même pour se retrouver dans un quelque part qui ressemblait fort à l'Arizona et à sa Monument Valley.
Il y croisa, le soir venu, un cow-boy plutôt chanceux.
Hector pensa surtout qu'il était schizophrène : le pauvre type parlait avec son chien marron taché et son cheval blanc tacheté.
Mais ce n'est pas la chance de celui-ci qui tua Hector, cette fois-là.
Ce qui est contrariant dans l'Ouest, c'est que l'on peut aussi y croiser des souris.
Des grosses souris du désert.
Forcément, avec la malchance qui l'accompagnait, Hector, chat noir, croisa l'une d'entre elles.
Cette grosse souris du désert aurait pu s'appeler Thomas J.
Éventuellement.
Mais elle s'appelait Chuck N.
C'est bien aussi, Chuck N.
Il faut bien avouer qu'une souris qui s'appelle Chuck N. a d'emblée beaucoup plus de classe qu'une grosse souris un peu moche qui s'appellerait Thomas J.
Et puis, personne n'a vraiment envie d'emmerder une souris qui s'appelle Chuck N.... et cela, quelle que soit la longueur de ses poils de moustache ou son accent de bandido plus ou moins prononcé !
Oui, mais voilà, Hector n'était pas personne et, quand il croisa Chuck N., la grosse souris du désert à la longue moustache et l'accent prononcé, il n'eut qu'une seule envie : l'emmerder.
Cela commença par le fait qu'Hector trouvait qu'elle aurait mieux fait de s'appeler Thomas J. et ne se gêna pas pour le lui dire, sans gants ni pincettes.
Cela donna quelque chose du genre :
- Hep ! Toi là-bas ! Ouais, ouais, toi là-bas, la grosse souris du désert un peu moche avec tes airs de gringo, tu aurais mieux fait de t'appeler Thomas J. plutôt que Chuck N. Comme ça on aurait peut-être pu éviter de te prendre pour un gros poulet déplumé ! Et en plus, tu sens l'taureau !
Se faisant, Hector venait de poser une première pierre blanche à son édifice mortuaire.
Cela continua par le fait que Chuck N., la grosse souris du désert à la longue moustache et à l'accent prononcé, n'aimait pas les chats noirs et Hector en était un.
Cela donna quelque chose du genre :
- T'es sérieux toi, là, le chat noir ? Tu crois vraiment pouvoir m'causer d'la sorte ? Alors même que j'peux pas encadrer les types portes-poisse dans ton genre ? Et qu' j'accroche au mur du saloon tous les types comme toi que j'peux pas encadrer !?
Le tout dit avec un accent prononcé...
Une deuxième pierre blanche venait d'être apposée au nouvel édifice mortuaire d'Hector.
Hector, chat noir, se rapprocha et toisa Chuck N., la grosse souris du désert à la longue moustache et à l'accent prononcé.
Cela se termina par une provocation en Duel.
Dans le grand Ouest, les embrouilles se règlent toujours par un duel.
Dernière pierre blanche à l'édifice mortuaire d'Hector, chat noir. Comme une pierre tombale finale.
Toutefois, il fallut attendre le lendemain midi...
Dans le grand Ouest, les duels dignes de ce nom se déroulent toujours sous un soleil de plomb, comme celui des balles tirées par les colts aux crosses d'ivoire, et la lumière dans les yeux de tous les cow-boys du dimanche qui oublient de mettre leur Stetson.
C'était le lendemain, pour sûr, mais ce n'était pas un dimanche et Hector, chat noir, n'avait pas oublié son chapeau.
Cela n'allait pas le sauver pour autant !
Le Stetson d'Hector était noir, comme lui, mais troué d'un fâcheux trou de balle, comme lui également.
Hector espérait secrètement s'en sortir et ne pas être transformé en passoire, ni quitter la scène les pieds devant. Pas aujourd'hui en tout cas.
Espoir vain et déçu.
Pour qu'un duel soit réussi, il faut qu'il prenne place pendant qu'un saltimbanque troubadour aveugle et sourd, joue un air d'harmonica, de piano ou de banjo, comme celui de ce train qui siffle toujours trois fois.
Orchestration mélodique et dramatique de la mise à mort d'une gâchette du grand Ouest.
Pour qu'un duel soit réussi, il faut aussi un croque-mort-monsieur-ou-madame qui prend les mesures des épaules et de la tête aux pieds et prépare les cercueils un peu à l'avance.
Il faut aussi des vautours et rapaces qui tournent et volent en rond au-dessus du désert et dans le sens inverse des aiguilles de la grande horloge du saloon du village.
Enfin, il faut aussi des courtisanes qui gloussent et se pâment.
Il est désormais midi et cinq minutes.
Le décor est planté.
Les poussières de sable sont balayées par le vent d'Est et traversent la grande rue ainsi fagotées...
Cette grande rue est à moitié déserte ou presque.
Tout le village est là.
Ils se pressent derrière les vitres sales et crasseuses ou s'adossent de l'épaule à un poteau en bois abîmé.
Les six-coups sont chargés.
La mire légèrement limée, pour gagner un millième de quart de seconde lorsque le colt sera dégainé.
Deux six-coups.
Douze balles, dont six dans la tête.
Peut-être.
Les visages se tendent et grimacent.
Les dents grincent, du moins quand il en reste quelques-unes parmi les chicots pourris et les claques-merde.
Ça chique et ça crache.
Par terre, sur les vestons ou sur les santiags.
Le monde s'arrête de tourner.
Les femmes s'évanouissent ou font semblant. Les femmelettes aussi.
Le monde n'a plus besoin d'un de ces deux-là.
Pourvu que ce soit cette grosse souris du désert à la longue moustache et à l'accent prononcé et qui se chauffe au purin, se dit Hector.
Le soleil brille et brûle la rétine.
- BLAM !
Hector dégaine et tire.
Une fois.
Il fait mouche sur la grosse souris.
Trop tard.
Il s'en ait déjà pris six dans le buffet.
Il a froid au soleil.
Goodbye, Marylou !
Goodbye, Jolly et Luke le chanceux !
Adieux, les frères Triso et les daltoniens !
Ce monde était trop petit pour eux tous, de toute façon.
Hector, chat noir, est mort au soleil.
La vie est moins pénible ainsi.
Finalement, Hector, chat noir, commençait à avoir l'habitude de passer l'arme à gauche.
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Hector. Chat(s) Noir.
Storie breviLes sept vies et les sept morts tragiques et rocambolesques d'Hector, chat noir et magique.