Chapitre 3

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A moi Vegas !

Porter

Il est à peine plus de seize heures lorsque je décide de m'arrêter dans une petite bourgade proche de Las Vegas. Je viens de parcourir plus de 250 kilomètres, traverser un état, je vais aller me reposer un peu dans un motel avant de faire une petite virée dans un des casinos du coin.

Je gare ma moto à côté d'une vieille bagnole cabossée. Ce motel me paraît plutôt malsain, mais je m'en contenterai pour cette nuit. Je pénètre dans le hall et je remarque tout de suite un homme d'une cinquantaine d'années, s'ennuyant à mourir en attendant sans doute que son petit établissement se remplisse. Mâchant son chewing-gum bruyamment, l'homme au regard fatigué m'observe de haut en bas. Ma large carrure ainsi que ma dégaine de motard lui font s'en doute tirer la sonnette d'alarme. Je me retiens de lui dire « du calme mec, je suis juste venu me reposer en attendant de reprendre la route ». Constatant que je suis inoffensif, il reporte son attention sur le vieux poste de télévision accroché dans le coin de la pièce. La seule ampoule fixée au plafond jauni, donne une ambiance presque vintage au lieu.

Je me racle la gorge pour me donner un peu de contenance et lui demande une chambre avec vue sur le parking si possible. L'homme bedonnant quitte son écran des yeux pour me lancer un regard noir. Je ne sais pas si c'est dû au fait de l'avoir dérangé au milieu d'un épisode de « the big bang théory » ou s'il m'en veut de lui demander une chambre d'où je puisse garder un œil sur ma Harley.

- La chambre est à payer d'avance. Je prends le permis de conduire pour éviter de retrouver ma piaule dans un état pitoyable après votre départ. Je ne fais pas les petits-déjeuners et évitez de fumer dans le lit, j'ai pas envie de récupérer mes draps avec des trous, me précise-t-il sans détour.

Je sors mon portefeuille de mon sac à dos et lui tends le bout de papier en guise de garantie. Je lui donne également un billet de cinquante dollars en lui précisant de garder la monnaie, il en a bien besoin ce pauvre homme.

- Chambre 12, vue sur parking, dit-il amusé.

Je le soupçonne de m'offrir ce « privilège » grâce aux quelques pièces dont je lui ai fait cadeau, mais je m'abstiens de ce sarcasme. Je m'empresse de quitter mon hôte si serviable pour retrouver ma chambre de fortune qui d'ailleurs est à l'image de son propriétaire. Une odeur de tabac et de sueur emplit mes narines dès que j'en franchis le seuil. On dirait que les précédents clients viennent juste de quitter les lieux tellement les effluves sont fortes. Le papier fleuri date au moins des années 80 et quand je pénètre dans la minuscule salle de bain, je fronce le nez à la vue des toilettes qui est un simple trou dit « à la turc ». Bon, je m'en contenterai sachant que l'hygiène à l'air moins discutable que dans le reste de la chambre. Je me dirige vers le lit et soulève le duvet plutôt douteux. Je comprends immédiatement pourquoi il a précisé de fumer ailleurs qu'au pieu... les draps sont troués par les cigarettes. Et lorsque je vois le nombre de taches de couleur crème laissées par tous les gens qui sont passés par ici pour assouvir leurs envies, je regrette de ne pas avoir fait quelques kilomètres de plus pour arriver aux hôtels luxueux de Vegas. Bon, je ne suis ici que pour une nuit et j'ai connu pire alors il va falloir que je prenne sur moi pour cette fois

Je me décide à poser mon sac sur la seule table présente dans la pièce et me laisse tomber sur la chaise en bois qui doit servir apparemment de porte manteau. Je sors mon portable de ma poche et découvre un appel en absence ainsi qu'un sms. Il s'agit de Matt qui se demande si j'ai réussi à me poser quelque part ou si je me suis tué sur la route. L'humour noir de mon cousin peut être dérangeant, mais c'est juste pour me faire comprendre qu'il s'inquiète pour moi. Je rejoins le lit et y allonge mes longues jambes au-dessus des couvertures. Je compose le numéro de Matt, il me répond presque immédiatement.

- Salut, frérot, alors t'en es où ? Comment tu vas ?

- Je suis au Nevada, près de Vegas. J'ai fait une petite halte au parc Sequoia, j'ai trainé un peu.

- La Californie te manque déjà ? m'interroge-t-il.

Ma vie avec Alice et Chris me manque, j'ai fait semblant de m'être arrêté pour grignoter, ce qui est en partie vrai, mais ce n'était pas la seule raison. J'avais aussi envie de mettre un point final à cet endroit, faire une croix, en quelque sorte, sur tous ces lieux où nous avons passé de très bons moments avec Alice. Le parc Sequoia est l'un des endroits que nous avons le plus fréquentés. Nous passions souvent nos dimanches après-midi là-bas, juste pour pique-niquer ou pour jouer à la petite famille que nous étions devenus. Enfin ça, c'était avant que Théo ne soit de retour. Je souris à l'idée de faire un adieu à Disneyland que nous avions aussi visité. Ce jour est l'un de mes meilleurs souvenirs, les yeux de Christopher brillaient quand il apercevait ses mascottes préférées, quand il se tenait sur mes épaules, j'avais vraiment l'impression de vivre un vrai moment père-fils. Les rares images que je garde de mon père avant sa mort, sont celles où il essayait chaque jour de me rendre heureux. Il m'offrait toujours des cadeaux lorsqu'il rentrait d'une mission avec son club, il me lisait une histoire le soir lorsqu'il se trouvait à la maison et tout un tas d'autres petites attentions de ce genre. Je n'avais que neuf ans lors de son décès, mais je me souviens qu'il m'aimait plus que sa propre vie. Je crois qu'inconsciemment, c'est ce que j'ai voulu reproduire avec Chris.

- Porter ?

Perdu dans mes pensées, j'en avais oublié ma conversation téléphonique.

- Heu, il faut que je te laisse Matt, je suis en train de m'endormir, lui mens-je.

- Ça marche, frérot, n'hésite pas à me donner de tes nouvelles, t'as plutôt intérêt même. Et ma porte t'est toujours ouverte, ok ?

Si je n'étais pas aussi solitaire, j'aurais presque sorti les violons en entendant mon cousin à la limite des larmes. Je sais qu'il s'inquiète beaucoup pour moi, parce qu'il est ma seule famille maintenant, mais je suis parti pour me retrouver et si je commence à l'appeler tous les jours, c'est un peu comme si mon cœur restait coincé en Californie et ce n'est pas ce que je cherche. Je lui promets tout de même de lui donner de mes nouvelles et raccroche avant qu'il ne pleure comme une madeleine. Ah ! Mon cousin, ce gros nounours au cœur tendre !

Il est presque vingt heures quand je décide avoir repris suffisamment de force pour poursuivre mon excursion. Je rassemble mes affaires, les glisse dans mon sac à dos et je m'empresse de quitter cette piaule aux odeurs écœurantes. Je me rends à l'accueil en espérant que l'homme de tout à l'heure n'ait pas déserté les lieux. Finalement je préfère payer un peu plus cher une chambre à Vegas plutôt que de devoir supporter ce taudis une nuit entière. J'arrive devant l'accueil, une pancarte « fermé » est accrochée à l'entrée. Alors quoi ? Après vingt heures il n'accueille plus aucun client ? Il est vraiment étrange ce mec. Je tente tout de même ma chance en tambourinant sur la porte en bois. J'aperçois l'homme à la grosse bedaine sortir de sa cachette et venir vers moi. Il porte une serviette pleine de taches de sauce autour du cou. Je comprends mieux pourquoi c'est fermé, c'est l'heure du dîner.

- C'est pourquoi ? demande-t-il en mâchonnant un morceau de viande, la bouche grande ouverte.

Charmant.

- Je suis venu récupérer mon permis, je reprends la route, lui précisé-je.

- Le problème c'est que je dois vérifier l'état de la chambre avant votre départ et là vous tombez mal m'sieur, je suis en train de manger. Si vous pouviez attendre un peu ça m'arrangerait, m'indique-t-il.

Il me propose de patienter tranquillement à l'accueil le temps qu'il finisse son repas. J'accepte, l'odeur est plus respirable que dans la chambre. Je m'installe dans un coin et je regarde le programme sur son vieil écran. Il s'agit du journal télévisé, mais très vite je décroche car le journaliste discute politique et je déteste ça. Mon hôte me rejoint une fois son dîner terminé, ce qui a pris plus de vingt minutes. Je l'accompagne jusqu'à la chambre et après un rapide coup d'œil, il constate que je n'ai pas fumé dans le lit comme il me l'avait recommandé. Je vois presque du soulagement dans ses yeux, il doit faire une vraie fixette là-dessus ! Bref je récupère enfin mon permis de conduire, je sors sur le parking et grimpe sur ma Harley avant de me diriger vers la ville la plus fêtarde des États-Unis, Vegas !


King Of Bikers-Porter Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant