Chapitre 7

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Il est temps de se poser.

Porter

Finalement, j'ai pu récupérer ma Harley le lendemain matin grâce à l'efficacité de ce garagiste de Denver. J'ai ensuite repris la route 66, icône des États-Unis et traversé le mythique « Devil's Elbow Bridge » un pont de métal aujourd'hui restauré. Il fut au début du siècle, le théâtre de nombreux accidents, dont certains mortels. Son nom signifie « Le Coude du Diable ». Pour les bikers, difficile de ne pas circuler dans le Missouri sans emprunter cette passerelle, sans oublier les abords du Mississipi, l'un des fleuves les plus étendus au monde. J'ai ensuite parcouru l'Illinois et ses nombreux buildings. Puis Chicago, capitale du blues, ville d'histoire et d'architecture avec ses formidables clichés : la prohibition, les Incorruptibles, les Blues Brothers, Batman, les forêts de pins, des musées partout et surtout, une nature sauvage, des gens accueillants à la ville comme à la campagne et toutes les images de cartes postales : les gros camions américains, les buildings, les trains interminables, les sirènes hurlantes, les flics, les autoroutes rectilignes, les pistes forestières, les hamburgers, les cabanes de pêche, la musique. J'en ai profité pour me rendre à un match des Chicago Bulls vs Utah jazz. J'ai toujours adoré le basket-ball, sport que j'ai pratiqué près de cinq ans. Mon père était coach à cette époque, il adorait entraîner des gamins, il passait son temps à nous sermonner sur l'importance de la discipline au sein d'une équipe et à la fin de la dernière saison où il nous a entrainés, nous étions devenus numéro un départemental. Une grande fierté pour le maire de la ville qui avait pris l'initiative, à l'époque, de rénover notre gymnase pour nous récompenser des titres que nous avions gagnés. Quand papa était présent à la maison, il m'emmenait voir les matchs le samedi soir, c'était notre moment privilégié père-fils. Il m'achetait du pop-corn et on le dévorait en admirant notre champion Mickael Jordan, le plus grand joueur de tous les temps. Je n'avais que huit ou dix ans à l'époque, mais je me souviens de chaque moment passé avec mon père, les meilleurs souvenirs de toute ma vie.

J'ai achevé mon périple en visitant l'Indiana et le Michigan. L'Indiana c'est la région des lacs, une continuité de la Route 66. J'ai assisté au concert d'un groupe de rock qui était de passage dans le comté de Madison ce soir-là et j'ai même fait la connaissance d'une fille un peu délurée, le genre qui assiste seins nus à un concert devant dix mille personnes. On a bien bu et bien ri, mais contrairement à Isabella que j'ai rencontrée à Vegas, je n'ai pas couché avec elle. Puis j'ai passé le détroit de Windsor traversant ainsi la frontière Canadienne. Voilà maintenant près de quinze jours que je suis sur la route. Je pousse un long soupir lorsque j'aperçois enfin le vieux quartier Heritage de ma grand-mère. Le lieu se situe au sud de Toronto, à deux heures de la capitale. C'est un vieux quartier près de la plage Wasaga Beach. J'y ai passé toute mon enfance, je passais mon temps à jouer devant la maison avec mes copains qui vivaient dans la même rue. Je me demande ce qu'ils sont devenus après leur études. Est-ce que Addison, la petite voisine avec qui je jouais souvent habite encore par ici ? Je ne pense pas, c'était une grande rêveuse, elle songeait à devenir une des plus grandes actrices de New York. Quand je suis parti, elle avait déjà envisagé de quitter la ville, alors il n'y a quasiment aucune chance que je la revois. Je demanderai de ses nouvelles à Doris. Je prends un dernier virage et accède enfin au boulevard Princes'. La maison est plutôt petite, mais suffisante pour ma grand-mère qui vit seule. J'ai un pincement au cœur lorsque j'aperçois la peinture défraîchie et l'herbe haute. J'aurais dû penser à ce genre de détails lorsque je me suis tiré. J'ai tout abandonné alors qu'elle avait besoin de moi, je me sens minable d'un coup. Elle ne s'est jamais plainte de se sentir seule dans cette grande ville. J'aurais pu lui rendre visite depuis toutes ces années, or j'ai été lamentable, je n'ai pensé qu'à mon travail, au club, à la moto et puis à Alice. Il est temps de m'occuper un peu plus de ma grand-mère, elle qui m'a élevé, elle devrait me mettre une raclée pour l'avoir laissé tomber à son âge. Je ris en repensant qu'en réalité, elle n'a jamais levé la main sur moi, par contre elle me tirait les oreilles quand je faisais une bêtise, ça c'était son truc. Doris est sous son porche, elle se balance sur son rocking-chair, emmitouflée dans une couverture qu'elle a confectionnée elle-même et sirotant probablement un thé à la vanille. Elle pose ses mains en visière lorsqu'elle entend le bruit du moteur de ma Harley. Du haut de ses soixante-seize printemps, Doris ne voit plus très bien. Elle avait déjà des problèmes de vue lorsque j'ai quitté le Canada. Je lui envoyais régulièrement de l'argent ces dernières années pour qu'elle consulte un spécialiste pour ses yeux, mais aussi un médecin pour ses problèmes de cœur. Je retire mon casque et gare la moto devant son garage, quand enfin elle me reconnaît. Je lui offre un grand sourire et m'avance vers elle pour la serrer dans mes bras. Je sens qu'elle tremble quant à son tour elle m'enlace fort. Je saisis son visage entre mes mains et sèche les larmes qui roulent sur ses joues ridées. Je lui ai fait la surprise de ma venue, hors de question de lui avouer que j'allais faire tout le trajet en moto. Elle aurait tout fait pour me dissuader de prendre cet engin de la mort comme elle appelle les deux roues. Mon père est décédé lors d'une course clandestine de motos, depuis elle ne veut plus entendre parler de ces engins. Mais elle sait pertinemment que je suis un biker dans l'âme et que j'ai ça dans le sang, que rien ne pourra me faire changer d'avis là-dessus. Doris me touche le visage, les épaules, le dos... comme pour vérifier qu'elle ne rêve pas.

King Of Bikers-Porter Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant