Chapitre 1

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Road trip

Porter

De l'alcool, des pétards et des femmes habillées très court : voilà le résumé de mes journées depuis ces trente derniers jours. Ça ne me ressemble pas. Je n'avais jamais fumé de ma vie auparavant, ce n'est pas maintenant que je vais partir en couille. Après avoir pleuré comme un gamin sa perte, j'ai décidé de me reprendre en main de la plus radicale des façons. J'aimerais tant redevenir moi-même, il suffirait juste que je prenne un nouveau départ, que je trouve la force d'avancer. Mon existence est désormais terne, vide de sens depuis qu'Alice est partie. Notre couple était condamné d'avance, j'aurais dû faire les choses autrement, garder mes distances avec elle car son cœur était pris par un autre, depuis toujours. J'ai fini par me faire une raison, elle ne reviendra plus, d'ailleurs elle a filé le rejoindre en France. Jamais plus je ne les reverrai. J'ai détruit rageusement les dernières photos que je possédais d'elle. Son sourire me manque déjà ainsi que son visage angélique, tous ces souvenirs qui font désormais partie du passé.

Un mois que je ne suis plus que l'ombre de moi-même, mais il est temps de réagir et pour cela j'ai décidé de partir de Santa Marina. Trente jours ça peut paraître court, mais j'ai l'impression qu'une éternité s'est écoulée. Trente jours cloîtré dans ma chambre, trente nuits à laisser les larmes rouler silencieusement le long de mes joues. Plus de sept cents heures à m'apitoyer sur mon pauvre sort. Il fallait absolument que je la sorte de mon esprit, que je me fasse une raison, elle n'est désormais plus à moi. L'a-t-elle été réellement un jour ?

Après avoir squatté tout ce temps chez mon cousin Matthew, je suis déterminé à me secouer et donc à partir sur un coup de tête. Un road-trip seul sur la route, rien de mieux pour se remettre sur pieds. J'ai dû m'affirmer devant Matt lorsque je lui ai annoncé mon projet hier soir. Mon cousin, que je considère comme le frère que je n'ai jamais eu, a tenté de me faire changer d'avis. Evidemment, il prêchait dans le vide, car ma décision était prise. J'ai besoin de changer d'air et pour se faire, mon voyage se fera à moto. Fouler le bitume, avaler les kilomètres à pleine vitesse, se poser dans des endroits miteux juste pour le plaisir de rencontrer de nouvelles personnes et se vider la tête.

Matt me tire de mes pensées, ce gros nounours au cœur tendre finit par me prendre dans ses bras pour me dire au revoir. Je tapote son dos d'une main ferme avant de le presser de me lâcher : les effusions de sentiments ce n'est pas notre truc.

- Allez, mec, je suis certain que dès ce soir je serai déjà dans les oubliettes, tu pourras te secouer la nouille tranquille et bouffer des « chattes » dans toutes les pièces.

Mon cousin rit devant ma répartie car il me connaît bien, peut-être plus que moi-même. Il sait que j'essaie de détendre l'atmosphère avec une blague salace, mais qu'au fond je n'en mène pas large. C'est vrai que j'ai pris cette décision de partir sur les routes, mais rien ne m'empêche d'avoir ce petit pincement au cœur de tout quitter. Enfin « tout quitter » est un grand mot... J'ai délaissé ma famille les « King Of Bikers » peu de temps après qu'Alice et moi nous nous soyons rapprochés. C'était mieux ainsi, j'avais déjà trahi mon pote, je ne pouvais pas rester, il y aurait eu trop de tensions et mes frères m'en auraient voulu un jour ou l'autre...

Les souvenirs de mon premier soir au club me reviennent en mémoire. J'avais pris cher ce jour-là. Devon venait de rencontrer Sara, nous venions de fêter l'intégration des nouveaux membres dont je faisais partie. Un bar, quelques verres, nous étions tous bien éméchés sauf que pour ma part, j'ai très vite dessoûlé... Sara était une fille paumée, Devon en bon héros a voulu prendre sa défense face à son mec violent. Résultat, je les ai séparés et j'ai reçu un coup de couteau dans le ventre. Heureusement pour moi, il s'est avéré que Sara était infirmière, elle m'a sauvé la vie. Chaque fois que je repense à ce moment je ne peux m'empêcher de soulever mon t-shirt et de toucher mes cicatrices. Une d'environ cinq centimètres qui représente mes débuts chez les King et une qui se trouve un peu plus haut, presque au niveau de l'estomac, plus petite qui me rappelle la balle que j'ai reçue il y a quelques années alors qu'on rentrait de mission. J'en ai beaucoup d'autres, plus anciennes, du temps où je vivais avec mon club de cœur « les MC Devil's » à Toronto.

J'avais à peine dix-huit ans quand j'ai rencontré Brad alias « Shake » le président des MC. Je vivais alors chez ma grand-mère Doris, car mon père était mort depuis bien longtemps déjà et ma mère avait sombré dans une profonde dépression. C'est pour cette raison que je me suis retrouvé au Canada. J'ai toujours été passionné par les deux roues. Mon père faisait lui aussi partie d'un club de motards. Le hasard a fait que j'ai croisé « Shake », cet homme généreux, que j'ai apprécié comme un père. Il m'a offert une belle somme d'argent pour que je puisse intégrer l'université et passer ma maîtrise professionnelle en architecture. En échange, je travaillais pour lui au club. Au début, Brad m'avait embauché comme barman dans leur bar de strip-tease. C'était une énorme bâtisse de briques avec une pancarte rouillée au nom de « Devil's » qui penchait négligemment d'un côté et se balançait au gré du vent. Je me souviens encore de ce que j'ai ressenti lorsque j'ai posé le pied dans l'antre des MC. Un mélange d'excitation et d'appréhension. Après tout, je n'avais que dix-huit ans et j'allais côtoyer une bande de femmes à moitié à poil quotidiennement. Mes yeux s'étaient posés sur Roxanne, la chef des filles. Elle était petite et menue, mais sa voix graveleuse et son expérience au sein du club lui permettaient d'imposer un certain respect naturel. Elle était un peu la maman de tous ces bikers en manque d'amour. C'est elle qui m'a appris le métier. Je suis devenu le roi des cocktails en à peine quelques semaines et très vite je passais tout mon temps libre entouré des membres des MC et des filles. J'étais tellement à l'aise en leur compagnie que j'ai rapidement été recruté pour devenir l'un des leurs. Brad m'avait pris sous son aile depuis bien longtemps déjà et j'ai, par ce privilège, évité les tests les plus terribles. J'ai vécu plusieurs mois dans un studio qui était la propriété du club et je n'ai plus jamais revu ma mère. Une nuit de janvier, ma grand-mère a reçu un coup de téléphone, maman s'était suicidée, seule dans son petit appartement. Je n'ai ressenti aucune peine pour elle car elle ne s'était jamais occupée de moi, elle m'avait toujours délaissé. J'ai quitté le club pour régler la paperasse qu'avait engendrée sa mort et saisi l'occasion de renouer avec ma famille maternelle dont Matt et sa mère. Mais ce n'était pas la seule raison de mon départ.

Sage.

La fille de Brad fut mon premier amour. Nous vivions une histoire secrète, mais très passionnelle. On était fous l'un de l'autre, mais nous ne pouvions pas l'assumer aux yeux de tous. Surtout par respect pour Brad qui nous aurait certainement forcés à nous marier car il n'aurait pas accepté que Sage soit une simple régulière. C'était mieux ainsi de tout façon, personne ne nous aurait pris au sérieux alors que nous n'avions que dix-huit ans. Quand je suis parti, nous avons décidé tous les deux d'en rester là. Aucune rancœur mais beaucoup de larmes. Sage aurait voulu que je l'emmène avec moi, mais c'était impossible, à l'époque j'étais loin de pouvoir subvenir à nos besoins. J'ai fini mes études en Californie, puis peu de temps après avoir obtenu mon diplôme, j'ai commencé à travailler pour Devon sur le chantier de son garage, c'est là que les King m'ont engagé et je n'ai plus jamais remis les pieds en Ontario ni revu Sage.

Je devrais profiter de mon road trip pour aller saluer Brad ça lui fera sans doute plaisir et j'aurais des nouvelles de Sage par la même occasion. Elle est très probablement mariée avec un membre du club maintenant, j'en mettrais ma main au feu. Je souris à cette idée, elle a toujours été attirée par les mauvais garçons et ce club n'en manque pas. J'en profiterai également pour revoir ma grand-mère Doris, je ne l'ai pas vue depuis mon départ du Canada, même si nous avons gardé contact par téléphone.

J'en avais oublié que j'étais resté planté dans l'entrée et que mon cousin me regarde bêtement alors que je me marre tout seul. Il doit me prendre pour un dingue.

Bon cette fois c'est décidé je me casse, direction l'Ontario. Je fais une dernière accolade à mon cousin, j'enfile ma veste en cuir par-dessus mon t-shirt à l'effigie des King que je n'ai pas réussi à jeter et je saisis mon casque posé sur la petite tablette près de la porte d'entrée.

Une fois dehors, j'inspire à pleins poumons l'air de la Californie. Je reviendrai sans doute dans quelques mois, lorsque je serai prêt. Je grimpe sur ma bécane, passe mon casque et enfile mon sac à dos. J'ai vendu la Kawasaki qui représentait le club des King et ressorti ma Harley Heritage Softail de couleur rouge qui ronronne malgré ses années à écumer le macadam. Je démarre l'engin, le bruit qu'elle émet m'offre cette sensation de liberté que j'avais oubliée. Il est temps que je me retrouve. Je fais un dernier signe à Matt avant de goûter au bitume pour plusieurs jours de route.


King Of Bikers-Porter Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant