Chapitre 2

794 37 2
                                    


Le depart

Porter

Le dernier road trip que j'ai entrepris remonte à 2012, lorsque je suis descendu de l'Ontario pour me retrouver ici et rencontrer les King. Jamais je n'aurais cru rester aussi longtemps, mais j'y avais trouvé ma nouvelle famille. Je crois que je n'ai jamais su où était réellement ma place, je ne me sens bien nulle part. Je pensais enfin l'avoir trouvée auprès d'Alice, mais encore une fois, je me suis trompé. Est-ce qu'un jour je connaîtrai le bonheur d'appartenir à une vraie famille ? J'aimais Chris comme mon propre fils, mais je me suis rendu compte que j'avais été égoïste, nous l'avions été tous les deux d'ailleurs, car il aurait dû savoir la vérité sur son père biologique, je n'avais pas le droit de l'en priver.

Lorsque je vois le panneau « Santa Marina » dans mes rétroviseurs, je pousse ma bécane dans ses retranchements. Je monte à 110 en quelques secondes sur la N Piedra en direction de la 41 N. Ce n'est pas la route que je préfère car bon nombre de motards ont perdu la vie sur cet asphalte si dangereux. Les nombreuses croix plantées sur le bord de route en témoignent. Je n'oserais jamais prendre cette route par temps de pluie avec tous ces virages serrés qui se succèdent. Heureusement pour moi, le temps est radieux et le soleil pointe déjà le bout de son nez malgré l'heure matinale. La nationale est quasiment déserte à cette heure-ci, je vais donc pouvoir rouler sereinement pendant un bon moment.

Après avoir tracé pendant plus de deux heures en longeant le parc Sequoia, je décide de m'arrêter un instant pour me dégourdir les jambes. Je me gare sur un parking et vais me chercher de quoi grignoter un morceau cela m'évitera un nouvel arrêt. J'en ai encore pour quelques heures avant d'atteindre ma première étape qui se fera au Nevada, plus précisément à Las Vegas.

J'ai eu l'occasion de visiter ce parc à plusieurs reprises lorsque nous y avons pique-niqué avec Alice et Chris. C'est un vrai bonheur, un grand bol d'air de se promener autour de ces immenses Sequoias. C'est en quelque sorte un retour aux sources, sentir les différentes odeurs qui y règnent, observer les quelques animaux en liberté, écouter les oiseaux chanter. En ce début d'après- midi, le soleil est haut dans le ciel et commence à me brûler la peau. Nous sommes mi-septembre et il fait encore très chaud en Californie. Je retire ma veste et la tiens à bout de bras. Je n'ai jamais eu les biceps très développés, mais je peux être fier de mes abdominaux bien dessinés Et quand je vois le regard en coin de certaines filles dans ce parc, je n'ai rien à envier à tous ces mecs bodybuildés. J'ai plutôt une belle gueule, dans le genre grand brun aux iris vert d'eau. Depuis tout jeune, je n'ai aucun mal à trouver une jolie fille pour partager mon lit, mais je n'en ai jamais abusé. C'était même plutôt gênant de les voir tourner autour de moi comme si j'étais une friandise. J'aurais dû être flatté, mais c'était tout le contraire. Comme j'étais plutôt timide, je n'aimais pas du tout être le centre de l'attention. Tout comme en ce moment quand je détourne les yeux de cette demoiselle qui me dévisage avec envie. Je préfère diriger mon regard vers mes pieds ou les feuilles dans les arbres, plutôt que de la laisser penser qu'elle m'intéresse. Je ne suis pas à proprement parler « asocial », enfin si peut être un peu, mais c'est juste que je suis souvent mal à l'aise avec les gens que je ne connais pas.

Mes idées m'emmènent sans que je ne le souhaite vers Alice. C'est moi qui ai fait le premier pas vers elle. Mais c'était diffèrent, je la considérais comme la femme de Théo. Je voulais juste être sympathique puisque je savais qu'elle se retrouvait seule depuis que Théo séjournait en prison. Je l'ai invitée à prendre un verre, je n'avais aucune arrière-pensée même si je suis tombé amoureux d'elle au premier regard. Mais elle m'a surpris en m'invitant chez elle et de fil en aiguille, je me suis senti de plus en plus spontané en sa présence. À cette époque, elle était enceinte de Christopher. Nous passions tout notre temps ensemble, je l'accompagnais à tous ses rendez-vous médicaux, j'étais devenu le soutien émotionnel dont elle avait besoin à ce moment précis. Elle a fini par m'accepter dans sa vie et je n'ai compris que récemment que c'était pour de mauvaises raisons. Elle se sentait seule et perdue et j'étais là pour la soutenir. Finalement, elle m'a aidé à y voir plus clair, je ne commettrai plus l'erreur d'aider une demoiselle en détresse.

J'emprunte le sentier des grands arbres, c'est l'endroit qu'il faut absolument visiter dans ce parc. Un long chemin de plusieurs mètres fait de rondins de bois longe un énorme bloc de granite où j'aime m'installer lorsque j'ai l'occasion de m'y rendre. Je m'arrête rapidement à la sandwicherie où je demande un hot dog ainsi qu'une bouteille d'eau et reprends tranquillement le sentier. J'entame les quelques centaines de marches qui m'amèneront au point culminant du sommet du granite. Peu de personnes s'y engagent car le rocher est plutôt glissant et peut être dangereux, mais j'aime l'aventure c'est un peu aussi pour ça que j'ai entrepris mon road trip, pour vivre des choses que je n'ai pas l'habitude de faire. Grimper le « moro rock » en fait partie.

Je croque à pleines dents le dernier morceau de mon encas tout en gravissant les dernières marches pour rejoindre le sommet. Un vertige se fait ressentir lorsque je jette un coup d'œil au vide tout autour de moi. Je m'agrippe à la barre de fer qui surplombe les marches tandis que les jointures de mes doigts blanchissent sous la pression.

- Ça fait toujours cet effet-là, la première fois, m'annonce un randonneur déjà installé sur le gros bloc.

Je lui lance un sourire crispé alors que je me presse de m'asseoir sur la grosse roche grise. Je respire un grand coup et mes muscles se détendent au bout de quelques secondes. Ma petite crise de panique valait la peine lorsque j'admire cette vue à couper le souffle. L'air à cette altitude est plus frais et des frissons parcourent mes bras, j'enfile ma veste et profite pleinement de cette bulle de calme qui m'invite à méditer sur ce qu'est ma vie aujourd'hui. Je me sens libre dans ce petit coin de paradis, pourtant la solitude me serre le cœur de nouveau. Je décide qu'il est temps pour moi de reprendre la route.

Je quitte cette beauté environnante, refais le chemin inverse et remonte sur mon engin à deux roues pour retrouver cette sensation d'abandon sur le bitume. Le bruit du moteur fait sursauter un petit garçon qui se tient aux côtés de ses parents. Je lui lance un sourire rassurant avant de mettre mon casque et de faire crisser les pneus sur le gravier.


King Of Bikers-Porter Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant