Août 1987
C'était la fin des vacances. Tyler avait, comme à son habitude, passé l'été à Miletrees, à pêcher au bord du lac avec son grand-père. Robert était le seul être humain avec qui il se sentait lui-même, pas un personnage qui jouait un rôle. A faire semblant, il était devenu assez bon, mais il se sentait de plus en plus mal. C'est pourquoi ces longs étés au soleil, le long de la rive du lac, étaient ses préférés.
Sa dernière année scolaire s'était bien terminée pour lui au niveau notes, mais l'avaient laissé tout cassé de l'intérieur. Solitaire et réservé, déjà tatoué malgré ses 15 ans, Tyler faisait figure du "bizarre" de sa classe. Toujours silencieux, à griffonner des trucs étranges et des mots que personne ne comprenait. Ces mots ne sont pas pour tout le monde. Seuls quelques-uns comprennent, se disait-il parfois. Mais qui? Son grand-père, lui, en tous cas.
"Pourquoi tu n'en ferais pas des poèmes, de toutes ces belles phrases que tu griffonnes, Ty? Je vois parfois ce que tu fais, tu sais. Et c'est magnifique. Les dessins, les poèmes, c'est un vrai univers que tu as créé. Il faut que les gens le découvrent," avait dit Robert, occupé à accrocher un ver au hameçon de la canne à pêche de Tyler.
"Non, papy... c'est pas pour tout le monde, ces mots. Ils ne comprendraient pas. Et de toute façon, je suis nul en poésie. J'écris juste des phrases."Papy avait soupiré, mais continué à sourire. Il voyait du potentiel en Tyler. Il aimait pêcher, écrire, dessiner, retaper des moteurs de bécanes à ses heures, mais surtout écrire. Il l'avait déjà même entendu chanter, d'une petite voix cassée et timide, quand il était seul parfois au bord du lac. Il savait ce que son petit fils vivait à la maison. Il se sentait impuissant, mais était déjà heureux de pouvoir lui offrir des instants de calme. Ils ne faisaient rien de spécial, ils étaient juste en paix, les deux, souvent silencieux.
"Ça s'est bien terminé, ton année scolaire, Ty?"
"Pas trop mal... à part que je n'arrive plus à me rappeler combien de surnoms Jeffrey Black et sa bande m'ont donné..."
"Aah, Jeffrey Black et sa bande... avait renchérit Robert. Toujours aussi cons."
Il connaissait les Black, une famille gentille mais moyenne, dont le père était fan de moto et de bière, la mère effacée et toujours inquiète. Par contre, le fils aîné Jeffrey, 17 ans, un grand châtain méché, bête comme ses pieds, se croyait très intelligent. Seule la fille cadette, Jenna, 15 ans comme Tyler, douce et drôle, sortait du lot de cette famille. Blonde comme les blés, de grands yeux bleus rêveurs, elle avait toujours un mot gentil pour chacun. Tout le monde l'aimait à l'école. Y compris Tyler, qui devait se résigner à rêver, sachant qu'elle était la petite sœur de Jeffrey. Si celui-ci avait vu la moitié d'un œil de Tyler traîner sur sa sœur, il lui aurait flanqué une trempée à la sortie des cours, cest sûr.
"Quels surnoms ils t'ont donné Ty? Que je sache ce qui se passe dans le cerveau de ce petit dégénéré de Jeffrey", dit papy après un long moment.
"Bof... ça passe de Face de rat, à Tronche de cambouis, en passant par Le lâche ou Face de vide. Papy... tu trouves que je suis sans expression? Que j'ai un visage vide?" demanda tristement Tyler.
"Pas vide, Ty. Je dirais plutôt... effacé. Comme flou, parfois."
C'était pas loin de ce que Tyler ressentait. Il se sentait flou. Des contours pas définis. Invisible. Parfois ça lui convenait bien, qu'on ne le remarque pas, et parfois ses angoisses le prenaient à la gorge, ou l'empêchaient d'écrire les mots comme il l'aurait voulu, ou de faire une chose aussi bien qu'il l'aurait imaginée. Cela augmentait son sentiment d'impuissance et son insécurité. C'était un cercle vicieux.Flou.
"Allez, Ty, malgré tout, tu vas commencer cet apprentissage de mécano. Mario est extra, je suis heureux qu'il soit ton patron. Il va t'en apprendre beaucoup, et pas seulement au niveau mécanique. Aussi sur la mécanique humaine, tu sais. C'est un bon gars. Son père était mon meilleur ami, et le garage a toujours été mon endroit préféré."
Papy était optimiste. Il était comme ça. Tyler angoissait d'entrer dans le monde du travail, mais ça ne serait jamais pire qu'aller en cours. Il n'aurait plus à voir Jeffrey, Rory et Jon chaque jour. Au moins ça. Tyler tenta de se préparer au mieux à sa nouvelle vie de travailleur. Il apprendrait des trucs utiles, qui ramèneraient aussi un peu d'argent à la maison. Sa mère irait peut-être mieux, tentait-il de se persuader.
Quel ne fut pas son désespoir, quand à la rentrée, fin août, il découvrit que Jeffrey s'était fait engager au cours de l'été comme garçon de main chez Mario. Le premier jour fût une horreur. Mario l'avait accueilli à bras ouverts, mais Jeffrey, lui, avait commencé les sarcasmes tôt le matin.
"Eh, mais c'est ce bon vieux Ty! Alors, comme ça on s'est fait engager comme arpète?" lui lança Jeffrey, en essuyant ses mains sur son bleu de travail, alors que Tyler se dirigeait vers son casier, dans l'entrepôt derrière le garage.
"Fous-moi la paix, Jeffrey. Oublie-moi pendant ces trois ans, s'il te plaît."
"Tu crois que je vais t'oublier comme ça, Ty? rugit Jeffrey, soudain très remonté, en appuyant son index plein de cambouis sur sa tempe. Tu sais quoi? C'est moi qui aurait dû avoir ce poste, Ty! Au lieu de ça, je me retrouve juste à débarrasser des bidons d'huile de moteur, à soulever des caisses de pièces détachées et à nettoyer des châssis... tu crois que ça me chante? Je voulais toucher du moteur, moi, pas me casser le cul à faire la bonne!"
"T'as du boulot, Jeffrey. C'est pas ce qui court les rues à Milestree. Tu devrait être content", répondit Tyler sans réfléchir.
Cette remarque eut le don d'achever Jeffrey, qui entra dans une rage folle.
Il traversa le centre de l'entrepôt et saisit Tyler à la gorge. Celui-ci sentit l'odeur du cambouis lui monter aux narines. Jeffrey le serrait si fort que ses yeux devinrent rouges et il commença à suffoquer. "Lâche-moi, Jef..." réussit-il à articuler, non sans mal. L'oxygène lui manquait, et Jeffrey, son visage rouge de colère collé au sien, ne relâchait pas son étreinte. Il soufflait de rage.
"Tu vas vivre l'enfer pendant ces trois ans, mon pote. Mets-toi ça dans le crâne. T'es qu'un pauvre péquenaud local, et tu te prends pour Dieu, avec tes poèmes à la con et ton air supérieur. Mais t'es rien qu'une face de vide. Et tant qu'on y est, tu vas lâcher la grappe à ma soeur. Tu penses que je t'ai pas vu la reluquer toutes ces dernières années? Je te conseille de l'oublier, si tu veux pas finir à l'hosto. Tu la mérites pas. Pigé?" Et il le lâcha. Tyler s'étala de tout son long sur le sol graisseux du garage. Jeffrey s'éloigna, ramassant au passage un bidon d'huile.Tyler se releva avec peine, en toussant et en crachant. Il se dirigea vers les toilettes de l'entrepôt. Un petit miroir rayé surplombait le lavabo. Ce que Tyler vit lui fit un choc. Il était en sueur et maculé de sa propre salive. Sa gorge était noire de cambouis et ses yeux rougis par la pression anormale du sang qu'avait fait monter la prise de Jeffrey. Tyler essaya frénétiquement de faire partir le cambouis en frottant sa gorge avec ses mains, mais tout ce qu'il réussit à faire fut de les salir aussi. Désepéré, il stoppa net et se regarda à nouveau. C'est ça que tu es, mon pauvre Tyler. Une gorge noire, des mains sales et une face floue. Il sentit l'angoisse sourde monter une nouvelle fois en lui, plus violente que jamais. La réalité lui explosa au visage. Ce qu'il était au fond de lui, quand il ne jouait pas de rôle, c'était ça. Un gamin bizarre, un souffre douleur, seul avec ses pensées sombres. C'était lui.
Blurryface.
Voili... c'est tout pour aujourd'hui les amis...à tout vite pour la suite.
Stay alive...

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I'll go with you
Fanfiction"Josh ne réfléchit pas une seconde. Il attrapa son bonnet rouge, ouvrit violemment la porte du chalet et s'élança à la poursuite de Tyler. Quel crétin, il est sorti en t-shirt, et il commence à neiger..."