« Gne beut bas trop barler » marmonna difficilement Toro.
Il était allongé sur le ventre. Ever, assise sur ses omoplates relevait la tête du mercenaire occasionnel de deux doigts dans ses narines, tandis que son autre main maintenait son couteau sur la gorge offerte.
Elle souriait cruellement.
Un déclic se fit entendre derrière son oreille.
« Hmm ? » fit-elle avec un sourcil relevé en détournant le regard vers l'origine du son.
Un automatique noir flottait dans les airs, le même que Toro tenait au moment où elle avait sauté sur lui, depuis l'arbre dans lequel elle se cachait. Elle l'avait pourtant distinctement vu voler un peu plus loin. Mais il fallait se rendre à l'évidence, il était bien juste là, pointé vers elle.
N'importe qui d'autre, ou presque, n'aurait vu que cette arme osciller lentement dans le vide, toute seule, mais elle voyait le fantôme qui la tenait.« Ah ? T'es là ? Remarqua la jeune fille sans se démonter. Je croyais que t'étais partie du côté de l'étang...
- Si tu ne le lâches pas, je te fais exploser la cervelle ! Intima l'immatérielle créature, avec une assurance qu'elle voulait intimidante.
- Ce serait dangereux, releva Ever, ça pourrait engendrer une crispation involontaire de ma main et trancher la gorge de ton petit bonhomme.
- Lod ? S'étonna Toro.
- Non, au contraire, rétorqua son amie en direction de la sauvageonne, lorsque la balle pulvérisera ce qui te sert de cervelle, tout ton corps va devenir mou et flasque.
- Oui, admit celle-ci... C'est une hypothèse aussi. Mais tu as vue comme je suis rapide. Avant que ton vaporeux index appuie sur la gâchette, j'aurais sans doute le temps de faire une roulade de côté, et trancher la gorge de cette brute.
- Gne suis bas une brute.
- Et toi ? Qu'est-ce que tu connais de la rapidité des fantômes ? Releva Lodély.
- Tu veux parier sa vie là-des...
- Baix, interjecta l'homme en mauvaise posture.
- ...sus, finit Ever en l'ignorant.
- Et toi ? Tu veux parier ta vie de gamine sur ton ego surdimensionné ?
- Tu sais ce qu'il te dit mon...
- BAIX ! Cria Toro.
- Quoi ? Demandèrent en cœur les deux jeunes femmes.
- Baix. On arrête les conneries. Lod, baisse ton arme. Et toi la sauvage, enlève tes butains de doigt de mon nez !
- Quand elle aura baissé son flingue » accepta Ever après un silence de quelques secondes.
Les deux antagonistes s'affrontaient du regard, sans rien faire.
« Looood ! Demanda Toro. On n'est pas contre elle. Elle va le combrendre. »
Finalement, le fantôme de sa bien-aimée recula et baissa le canon de l'arme.
« Ok... » Accepta Ever, en lâchant son prisonnier, avant de lentement se redresser et se reculer d'un pas, elle aussi.
« En même temps, admit-elle avec malice, je savais qu'il était qu'à moitié méchant, vu que t'as pas achevé Edgar.
- Qui ça ? Demanda Toro en se retournant sans se relever.
- Edgar. Mon pote, le gnome que t'a laissé se barrer.
- Et tu viens quand même me sauter dessus pour m'égorger ? » S'insurgea-t-il en se mettant sur ses pieds.
Il semblait immense, comparé à elle.
« J'ai dit "à moitié méchant". Je te suis tombé dessus à cause de l'autre moitié. Vous avez tué deux d'entre nous, et on a deux gars, on sait pas s'ils s'en sortiront...
- J'ai pas tiré une balle !
- Qu'est-ce que j'en sais ?
- Je te le dis ! Espèce de folle ! Et habille toi bordel ! C'est indécent !
- Ce qui est indécent, monsieur le mercenaire à la solde de l'Infécond, c'est de venir tuer des paisibles gnomes pour s'emparer d'un bébé licorne à venir. »
Toro s'arrêta net et fronça les sourcils, avant de prendre une grande inspiration.
« Tu as raison, admit-il.
- Ah bon ? S'étonna-t-elle.
- Comment ça "ah bon" ?
- Non, je suis étonnée que tu reconnaisses tes torts. Les débiles pleins de muscles sont d'habitude plus bornées, il faut taper dessus longtemps pour qu'ils comprennent.
- Je suis pas débile et je suis pas une brute. Et je suis pas à la solde de l'Infécond.
- Alors pourquoi tu traînes avec cette bande de tueurs ?
- Je me suis trompé. On n'aurait jamais dû venir là.
- Je te le fais pas dire.
- Si tu nous dis dans quelle direction on doit aller pour sortir de ce merdier, on partira.
- Je te laisse le bénéfice du doute, dit-elle en pointant un index vers le nord-est. »
D'un vague grognement accompagné d'un mouvement du menton, Toro la remercia et ramassa les quelques affaires qu'il avait laissé tomber au sol.
Pendant ce temps, Lodély contemplait Ever.
« T'es un genre de fée ?
- Nan. J'suis humaine.
- Pourquoi tu es nue ?
- Je suis une fille de Dana.
- C'est pour ça que tu me vois ?
- J'en sais rien. Pourquoi ? Normalement les gens ne te voient pas ?
- Non, pas vraiment. Dans l'ombre, un peu, parfois.
- Ça fait longtemps que t'es fantôme ?
- Non... Pas longtemps..., admit Lodély avec un soupçon de tristesse dans la voix
- Pourquoi tu te balades avec lui ? Tu veux te venger ?
- Non. C'est mon chéri et ensuite... C'est compliqué »
Ever eu un pincement des lèvres, avant de reprendre plus doucement : « Je suis désolée pour ta mort.
- Tu changes vite d'avis.
- Toi, t'as l'air gentille. Même quand tu veux prendre ton air méchant. T'avais plus peur de le perdre qu'autre chose quand tu m'as menacée, ça se voyait. C'est pour ça que j'ai laissé tomber.
- Merci.
- On y va ? intervint Toro.
- Et si on l'aidait suggéra Lodély.
- Hein ?
- On l'aide »
Toro la regarda avec un air étonné, deux longues secondes.
« Tu veux qu'on se tape les autres fous furieux là ? Demanda-t-il, comme s'il n'était pas sûr d'avoir compris.
- On peut peut-être juste aider la licorne à s'enfuir ? Suggéra sa moitié intangible, avec un petit haussement d'épaule, et un charmant hochement de tête sur le côté.
- T'es folle ?
- Oui... De toi. »
Toro pencha la tête de côté à son tour, en la regardant avec un sourire pincé. Elle savait tellement bien lui parler...
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La voie des fées
FantasyEt si l'histoire prenait une tournure différente ? Et si Arthur n'avait pas choisi de rallier la chrétienté, mais avait défendu les hérétiques ? Et si, dans cette guerre qui opposa ces derniers à l'expansion monothéiste, les catholiques avaient perd...