On était au lac.
On était neuf, avec Schlomo, le capitaine. Faut pas se fier à son prénom, c'est un converti, il connaît plein de choses sur la nature, c'est un excellent traqueur, il m'a appris plein de choses.
Tous les grands du camp étaient là, c'était un peu notre récompense, après les trois semaines à gérer les louveteaux. On avait assuré, les gamins s'étaient vraiment éclaté pendant ces vacances. Je dis "gamins", c'est vrai, on n'est pas encore des adultes nous-mêmes, mais c'est pour la différence d'âge, vous comprenez ?Nous on était vannés. Ils étaient partis le soir d'avant, et nous on restait pour deux jours encore. Un pour ranger et l'autre pour se poser tranquillement, entre nous.
La veillé du soir d'avant, on l'avait passée à comater devant le feu, à nous raconter des vieux souvenirs de nos camps passés, lorsque c'était nous les louveteaux. On avait bien rigolé, il faisait super doux, on s'est endormi autour du feu, pépère.
On s'est tous réveillé à l'aurore et on est allé sur le rivage, pour en profiter.
Le lever du soleil sur le lac, c'est magique. C'est un des trucs les plus beaux qu'on peut voir : les rayons du soleil commencent à transpercer le haut des arbres et jouent dans la brume qui flotte sur l'eau, le calme, l'indolence comme dit Schlomo. Il y avait une brise légère qui agitait les roseaux, on était tous assis sur la plage, silencieux, admiratifs.
La nature, c'est quand même notre truc, à nous les scouts.
Mais bon, l'indolence ça va, mais parfois il faut extérioriser un peu. Je sais pas comment ça nous a pris, mais on était tellement bien qu'on a commencé à plaisanter, et puis on s'est tous foutus à poil pour se jeter à l'eau.
Même si c'était la fin du mois d'août, le lac était frais. On a crié, on a chahuté, on a nagé. Et puis la sérénité nous a repris, on s'est mis à flotter en silence. On était bien.
A un moment, je me suis dit : « Wow ! Ça fait quand même longtemps là ! ». J'ai redressé la tête, j'avais dérivé jusqu'au milieu du lac. Je suis bon nageur, on l'est tous de toute façon chez les scouts, il faut qu'on sache se débrouiller dans toute situation en milieu sauvage. La distance me faisait pas peur, j'ai commencé à nager tranquillement. Et puis c'était pas le lac de Genève non plus. Il devait pas faire plus de deux cent mètres de large.
Et puis à moment, je me suis rendu compte que je ne nageais pas vers le campement. Je sais pas pourquoi j'avais dévié. J'allais en plein vers les roseaux qui étaient presque à l'opposé. Ça m'a donné une impression bizarre, mais pas plus que ça. J'ai redressé mon cap, et je suis reparti en crawl, tranquille.
A un moment, j'ai relevé la tête pour voir à combien j'étais du bord : j'étais encore reparti dans l'autre sens ! Tout droit vers les roseaux, ils devaient pas être à plus de vingt mètres.
Là, j'ai tiqué quand même. J'ai eu un frisson d'appréhension qui m'a traversé l'échine. Pendant un moment, je me suis demandé si j'étais pas dans ce genre de cauchemar, où on essaie d'avancer et on n'y arrive pas.
Alors je me suis remis en brasse, en me concentrant bien sur la direction du campement, je le quittais pas des yeux. Là-bas, les autres étaient sortis de l'eau, et je voyais Manahn qui me faisait de grand signe pour me dire de revenir. Je lui ai montré que je l'avais vu, et je suis reparti, mais pas en crawl, toujours en brasse, les yeux fixés sur mon objectif.
Et je sais pas ce qui s'est passé. A un moment, j'ai repris mes esprits, j'allais plus vers le campement : j'étais reparti vers les roseaux et ils étaient à quelques mètres. Juste en face de moi, la végétation s'écartait pour former une espèce de plage un peu vaseuse. Et ça m'a fait tout bizarre, je me suis vu sur la plage, accroupi, qui me regardais nager. J'étais là-bas, et j'étais dans l'eau en même temps.
Ça m'a fait peur tout à coup. J'ai fait demi-tour et je suis reparti en crawl à fond. Il y avait quelque-chose en moi qui me hurlait que c'était pas normal.
Et ça m'a refait la même chose, comme dans le cauchemar. Je nageais à fond vers le camp, et à un moment, je me retrouve en train de nager vers les roseaux. J'ai fait demi-tour, plusieurs fois, je paniquais à vrai dire. Je ne sais pas combien de fois ça m'a fait ce truc là, et à un moment, c'était trop, j'en pouvais plus. C'était peut-être la peur qui m'avais fait nager n'importe comment, où le temps qui passait sans que je m'en rende compte, mais j'en pouvais plus.
Je crois bien que j'ai failli me noyer à ce moment.Mais heureusement, il était là, mon frère.
Je me sentais à bout de force, en train de lâcher. Et à ce moment là, il m'a repêché. J'étais en train de couler, je m'enfonçais dans l'eau froide, j'ai vu son corps arriver au-dessus de moi en crawl, il a plongé et m'a remonté.
A bout de force, je me suis laissé porter. Il nous a amené vers le canoë qui arrivait. Il y avait Manahn et Schlomo à bord.
Je me souviens, quand je me suis retourné, Manahn avait le bras tendu vers moi, il y a eu comme un flou, un moment étrange, où ils nous regardaient tous les deux, mon frère et moi, la bouche ouverte, sans comprendre. Je ne sais pas pourquoi, mon pote devait se demander comment mon frère avait fait pour arriver là si vite. Il avait sans doute fait le tour du lac en courant, alors qu'eux prenaient le canoë, je sais pas.
Mais bon... Ils nous ont tiré hors de l'eau et nous ont ramené au campement.
Les gars me posaient plein de questions, ils ne comprenaient pas pourquoi j'avais agi comme un débile. Moi non plus. Schlomo était furax, mais j'étais tellement fatigué qu'il m'a pas passé de savon. Il m'a dit d'aller me reposer.
Mon frère et Manahn m'ont aidé à me sécher et à me rhabiller, et on s'est rendu compte que mon frère avait pas de vêtements pour lui. « Bah ça alors ! On me les a volé ! » a-t-il dit un peu penaud. On voyait pas qui pourrait jouer ce genre de tour, mais ça devait être une blague stupide. On a été vers notre tente, mais son paquetage avait disparu. Il y avait juste nos affaires à Manahn et moi, alors je lui ai filé un change, presque propre.
A un moment, Manahn a voulu demander un truc à mon frère, et puis, il s'est arrêté et m'a regardé : « Il s'appelle comment ton frère déjà ? »
J'allais lui répondre, quand je me suis rendu compte que je l'avais sur le bout de la langue, mais je n'arrivais pas à le dire. C'était con quand même, c'était mon frère. Je l'ai regardé, on a eu comme un échange, je sais pas comment l'exprimer. Nos yeux, quand ils se croisent, on se comprend sans parler.
« Aydric » il a dit. Alors moi, j'ai répondu « oui ? ». « Non, je m'appelle Aydric » Il a repris.
« Ah oui c'est vrai ! » Je me suis dit. « Ils sont cons nos parents, à nous avoir donné le même prénom ! »
Vous reconnaîtrez, c'est stupide non ?
***** Aparté : je veux bien que vous donniez votre impression, en commentaire, sur ce qui se passe, juste pour savoir si vous devinez, si mes suggestions sont assez habiles ou pas.
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La voie des fées
FantasíaEt si l'histoire prenait une tournure différente ? Et si Arthur n'avait pas choisi de rallier la chrétienté, mais avait défendu les hérétiques ? Et si, dans cette guerre qui opposa ces derniers à l'expansion monothéiste, les catholiques avaient perd...