Chapitre 2

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L'avion qu'utilisa Crowley pour rejoindre Londres alla si vite que les passagers, éberlués, mirent pieds sur le sol anglais avec plusieurs heures d'avance. On dut faire descendre de force les pilotes, mortellement pâles, qui, accrochés à leurs sièges, balbutiaient des choses incohérentes à propos de carburant épuisé, de vitesse impossible et d'oiseaux mystérieusement esquivés.

Une heure plus tard, Crowley était de retour devant la librairie. La nuit tombait sur Londres, parant les rues d'ombres et de froides promesses. Le démon, qui avait couru tout le trajet, ne put s'empêcher de ralentir en s'approchant de la porte d'entrée. Un énorme soupir de soulagement lui échappa lorsqu'il comprit que la librairie n'était plus consacrée. Après tout, ces choses-là, si puissantes qu'elles soient, ne reposaient que sur un mélange de foi et de convention. Si personne ne croyait que la librairie était une terre sacrée et que le Pape en personne lui niait toute existence auprès de l'Église, alors elle ne l'était pas. Ce n'était pas lui qui faisait les règles.

Il posa la main sur la poignée et s'aperçut qu'il tremblait.

Qu'allait-il trouver, à l'intérieur ? Une suite de pièce vides, ou...

Non, non, non ! Il ne pouvait pas penser des choses pareilles. Il ne pouvait pas imaginer trouver Aziraphale... Non !

La porte était ouverte. Il la poussa.

L'intérieur était semblable à celui qu'il fréquentait depuis des années – des siècles, même. Le salon était vide. Le cercle menant au Paradis dument caché par l'habituel tapis.

La porte claqua dans son dos.

-Je suis à vous dans un moment ! Lança une voix.

Crowley se figea tout entier, son cœur humain arrêté net, sa respiration complètement bloquée.

C'était sa voix, la voix qu'il connaissait si bien, la voix qu'il chérissait depuis des milliers d'années...

Puis la porte de l'arrière-boutique s'ouvrit et il fut là, semblable à lui-même, semblable à celui qu'il avait toujours été, depuis le Commencement des temps. Une silhouette ronde engoncée dans des habits démodés, le visage souriant entouré d'un halo de cheveux pâles, presque blancs, et des yeux plus bleu que le plus pur ciel d'été.

-Aziraphale...

Le nom sortit comme un murmure, comme la prière d'un croyant devant une apparition divine. Il avait tout envisagé avant d'entrer dans la boutique, absolument tout, sauf retrouver son ange indemne, en parfaite santé, à l'endroit où il l'avait laissé.

Sa vue se brouilla. Il cligna des yeux, en vain, pour chasser les larmes qui s'y accumulaient.

C'était peut-être un rêve. Peut-être qu'il était devenu fou, complètement, merveilleusement fou, et que s'il attendait quelques instants, s'il bougeait trop brusquement, le mirage s'évaporerait et le laisseraient seul, de nouveau, affreusement seul sur cette terre absurde.

-Bonjour, fit Aziraphale en fronçant légèrement les sourcils. Je suis affreusement désolé, vous semblez me connaître, mais... Nous sommes-nous déjà rencontrés ?

La question frappa Crowley si fort qu'il tituba, comme un boxeur groggy où un quidam poignardé au coin d'une rue désertée. S'ils s'étaient déjà rencontrés ?!

-Monsieur ? s'inquiéta Aziraphale en s'approchant, l'air inquiet.

S'ils s'étaient déjà rencontrés ?! S'ils s'étaient déjà rencontrés ?!?

-Monsieur, quelque chose ne va pas ? Monsieur ? Asseyez-vous, je vous en prie... Je vais vous chercher un peu d'eau.

Crowley se laissa tomber sur le canapé. S'ils s'étaient déjà rencontrés ?!

Le parfum des myosotis (Good Omens)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant