Chapitre 3

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Crowley marcha jusqu'à rencontrer la vitrine de Mr Feng. Elle était vide. Ça tombait bien, lui aussi. Complètement, affreusement vide. Sans haine, sans peur et sans le moindre espoir.

Il se regarda ouvrir la porte – qui se trouva miraculeusement non verrouillée – et pénétrer dans la pièce principale, dont les ampoules s'empressèrent de s'allumer, malgré l'absence flagrante d'électricité.

Il n'avait jamais, personnellement, rencontré Mr Feng, étant à l'étranger durant la période de son installation (une petite tentation à Sumatra impliquant un homme, un rat géant et une casquette écossaise – un épisode qu'il préférait oublier). Tout ce qu'il savait, c'était ce qu'Aziraphale lui avait raconté à son retour : Mr Feng était un vieil original auquel un agent immobilier avait refilé une boutique dont personne ne voulait, autant à cause de son insalubrité que de l'endroit où elle était située. Soho n'était pas exactement le quartier où les passants venaient acheter des jolis bouquets pour leurs aimés. Si seulement il avait été présent à ce moment-là... Il aurait adoré profiter d'un endroit permanent où acheter ses plantes, juste à côté de chez Aziraphale.

Quoi qu'il en soit, Mr Feng avait finit par fuir le quartier (on racontait qu'il avait miraculeusement trouvé un autre endroit où s'installer), laissant derrière lui la carcasse vide d'une boutique à l'abandon.

Crowley fit quelques pas à l'intérieur, dérangeant quelques nuages d'une poussière grise, compacte, qui, ayant deux sous de jugeote, fit bien attention à ne pas tâcher ses vêtements.

Une odeur familière lui fit lever le nez. Intrigué, il se déplaça jusqu'à l'arrière-boutique... Et ouvrit des yeux ronds, stupéfait. La pièce n'était plus une pièce à proprement parler, mais une formidable serre, grouillante de couleurs, de verdure et d'insectes.

Laissée à l'abandon, les plantes, qui auraient dû dépérir et mourir, avait profité d'une tuyauterie crevée et d'un mur moisie pour prospérer en paix, sortant de leurs pots pour coloniser celui de leurs voisines, se mêlant ou s'étouffant, se croisant ou s'ignorant dans un ballet mille fois répété. Du terreau recouvrait le plancher. Crowley se demanda fugitivement si Mr Feng l'avait laissé là en partant où si des gens, en saccageant la boutique, avait éventré les sacs de terre brune. Peu importait.

Par la porte du fond, un autre monde se laisser deviner, sous la forme d'une petite court à ciel ouvert, tout aussi joliment colonisée. Des pots d'argile à moitié brisés recouvraient les pavés descellés où les plantes s'étaient glissées pour s'immiscer.

Crowley s'agenouilla pour les caresser, émerveillé malgré lui par les miracles de la vie.

Puis son esprit revint à la situation présente et il se reprit. Il avait largement de quoi ouvrir une boutique, s'il s'y mettait dès maintenant.

Il se releva, épousseta négligemment ses habits, retira ses lunettes noires, qu'il accrocha à son col, et croisa les bras sur la poitrine, l'air menaçant.

-Vous êtes fières de vous, bandes de flemmardes ? hurla-t-il. Je vous préviens, l'ère de la paresse est terminé !

Ses mots résonnèrent un instant dans la pièce, soudain retourné au silence. Même les insectes avaient suspendues leurs vols pour déglutir, l'air peu rassurés.

-Non mais regardez-moi ça ! Rugit le démon en se penchant vers la fleur la plus proche, qui frémit et tenta, vainement, de se soutirer à son implacable inspection. Quel manque de tenue ! C'est à peine croyable ! Il va falloir faire bien mieux que ça, si vous voulez rester intacte ! Vous m'entendez ? BIEN mieux que ça !

Une vague de frayeur passa sur la petite serre, provoquant dans son sillage mille frémissements horrifié.

Crowley retroussa ses manches. Dans une situation aussi désespérée, la meilleure chose qu'il avait à faire était de s'occuper, travailler jusqu'à en perdre la notion du temps, jusqu'à en oublier momentanément le monde tout autour et la douleur qui pulsait sourdement dans sa poitrine, comme une bête tapie, assoupie, menaçant sans cesse de s'éveiller. Il passa la nuit à séparer des plantes, les déterrer, les enterrer de nouveau, les arranger, les disposer, les trier, les rangers, combler leurs pots avec des engrais adéquats et réparer les récipients cassés. Sans le moindre miracle, bien entendu : il ne trichait jamais lorsqu'il fallait jardiner. Et il cria, tout du long, sans interruption. Il fallait bien assurer sa dominance sur ce nouveau territoire, après tout. Et si ces hurlements se déchiraient parfois, s'il lui arrivait de pleurer en même temps où d'implorer le nom de quelqu'un qui ne viendrait plus le retrouver... Eh bien, les plantes étaient trop terrorisées pour présenter la moindre objection.

Le parfum des myosotis (Good Omens)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant