Crowley ne savait pas où il allait. Il marchait, tout simplement. Il marchait, parce qu'il savait que s'il s'arrêtait, il allait s'écrouler et possiblement ne plus jamais se relever. Il marchait droit devant lui, bousculant les passants, miraculant les voitures sur le côté. Il marchait vers la sortie de la ville et comptait continuer ainsi, tout droit, jusqu'à la fin des temps.
Comment avait-il pu croire qu'il réussirait à oublier Aziraphale ? Comment avait-il pu penser qu'il serait un bon partenaire pour Zira ? Il n'avait jamais été bon pour personne. Pas même pour lui.
La nuit était tombée. Il faisait froid. Un orage gronda, quelque part, et il se mit à pleuvoir. Mais pas une pluie battante et dramatique, non, une petite bruine désagréable qui imbiba ses vêtements et le glaça jusqu'aux os. Et s'il laissait son corps mourir ? Ah, mais il retournerait en Enfer et se ferait torturer pour l'éternité par Belzébuth et sa clique... Un véritable suicide ferait mieux l'affaire. Eau bénite ? Il avait épuisé le contenu de son thermos tartan mais, après tout, lorsqu'on ne se soucie pas de sa sécurité, il n'était pas si difficile de trouver de l'eau sanctifiée...
Il s'arrêta devant une église. Les anges de pierre, sur la face, lui jetaient un regard vide, mauvais.
Mourir. Était-ce vraiment ce qu'il voulait ? Disparaitre.
Crowley aimait la vie. Il l'avait toujours aimé, malgré la douleur et les insécurités, malgré les horreurs et les pertes renouvelées. C'était une des choses qu'il partageait avec Aziraphale, d'ailleurs, l'amour du monde, des choses, des hommes.
Il s'assit sur les marches, sous l'ange de pierre au regard vide, au visage froid, qui ouvrait les bras. La pluie commença à s'intensifier, battant de plus en plus violemment les pavés. Il retira ses lunettes et offrit au ciel furieux son visage nu, vulnérable. Et il pleura, avec le monde, pour tout ce qui était disparu, tout ce qui avait été, tout ce qui ne serait jamais.
~
Zira pleurait aussi, à l'autre bout de la ville. Recroquevillé sur son canapé, les poings crispés dans ses cheveux, il ne pouvait simplement plus s'arrêter. Sa peine était si grande, si violente et si profonde qu'il s'en trouvait submergé, balloté par des flots qui l'emportaient et le secouait sans pitié, sans espoir de repos. Il ne connaissait Crowley que depuis deux mois pourtant, pourquoi l'idée qu'il ne l'aime pas, qu'il l'ai seulement utilisé, lui faisait si horriblement mal ? Son chagrin lui semblait presque étranger, comme s'il venait d'un autre, un autre infiniment plus vieux, infiniment, désespérément plus amoureux de Crowley. Quelqu'un dont la présence s'alliait au parfum des myosotis, qui ne cessait d'occuper ses pensées.
Crowley lui manquait déjà. Comment était-ce possible ? Il était tellement, tellement en colère contre lui ! Il n'avait pas le droit de faire ce qu'il avait fait, d'entrer dans sa vie et la déchirer de l'intérieur, comme un insecte dans une poupée de chiffon. Il n'avait pas le droit de l'embrasser, de l'embrasser comme ça – oh, l'empreinte de ses lèvres sur les siennes ! La chaleur de son corps ! De sa peau ! La vulnérabilité de son être, offert, tremblant presque sous ses caresses ! Il le désirait depuis si longtemps, si horriblement longtemps ! Il le désirait depuis, depuis...
L'espace d'un instant, si infime qu'il exista à peine, il vit des images, des parfums, aussi flous que des lambeaux de songes. Était-ce Rome, cette odeur d'olive, de poussière, de vin ? Était-ce Paris, ce goût de sucre, de pâte à crêpe, de chocolat ? Était-ce... Rien. Les sensations étaient déjà parties, emportées par un flot de rien, de vide, d'absence. Il avait l'impression, l'horrible impression, de manquer d'une partie de lui-même, comme d'un membre violemment amputé.
Il se leva en tremblant, incapable de comprendre ce qui lui arrivait, et se dirigea vers la cuisine. Des larmes continuaient à couler sur ses joues, laissant deux trainées lisses, brillantes, sur sa peau rougie d'avoir été trop essuyée.
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Le parfum des myosotis (Good Omens)
FanfictionAprès la non-apocalypse, Aziraphale et Crowley pensent être sortis d'affaire. Ils profitent doucement de leurs journées, se rapprochant petit à petit, comme s'ils avaient devant eux toute l'éternité... Mais ni l'Enfer, ni le Paradis, ne sont de cet...