[Terreur toxique - 1] Si nos vies comptaient

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Préambule

Terreur toxique est la suite directe de Catastrophe chimique, le récit des 4 jours qui ont suivi le fameux 26 septembre 2019, à Rouen, touchée de plein fouet par l'incendie d'une usine chimique classée Seveso seuil haut (comprendre : très dangereuse). Je pensais à l'origine poursuivre Catastrophe chimique avec le témoignage de la première semaine post-incendie, mais le fait est qu'à partir de lundi, j'ai eu la sensation d'entrer dans une nouvelle période.

De la peur, il y en a eu durant ces 4 premiers jours, mais nous vivions surtout dans l'instant, tiraillés le stress et les questions découlant de la catastrophe qui nous frappait.

Mais cette semaine, nous avons expérimenté "l'après", le début de l'ère post-Lubrizol. La peur s'est transformée en angoisse plus pernicieuse, plus insidieuse. La toxicité des substances que nous avons inhalées se fait de plus en plus réelle, de plus en plus certaine.

Après la stupeur vient la terreur.


Lundi 30 septembre, 7h00

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Lundi 30 septembre, 7h00

Le réveil a sonné deux fois. Le visage dans l'oreiller, j'envisage de repousser de quelques minutes encore l'instant où je devrai me lever, mais une forte odeur d'essence me fait lever la tête.

L'odeur est revenue, et elle est insoutenable.

Je bondis du lit. Jérémy dort comme un bébé, le chat en boule sur la chaise de bureau roupille comme à son habitude et le jour n'est pas encore levé.

Mais déjà, je sens que la journée va être longue.

Je me maudis pour avoir oublié de débrancher la VMC avant d'aller me coucher : une grave erreur. Je me précipite sur le panneau électrique et fais disjoncter l'interrupteur. Dans la salle de bain, le silence se fait.

Hélas, il est trop tard : l'odeur est déjà là. Après une nuit à respirer, à mon insu, le gaz et les relents d'hydrocarbures, ma gorge me brûle. Je suis prise d'une quinte de toux. J'ouvre la fenêtre de la salle de bain pour vérifier l'état de l'air à l'extérieur.

Je ne sens plus rien, mais je me demande si ce n'est pas tout simplement dû au fait que l'air est bien plus pollué à l'intérieur. Quoi qu'il en soit, mieux vaut respirer à l'extérieur qu'entre mes murs.

Je rallume la VMC et laisse la fenêtre de la salle de bains ouverte, espérant chasser les fragrances chimiques. La nausée me saisit : je m'adosse contre le mur quelques secondes, le temps de m'habituer à l'odeur. Je me sens vraiment mal, et pourtant, hors de question d'inspirer profondément pour chasser l'envie de vomir : ça aurait forcément l'effet inverse.

Je tousse encore, et je frissonne. Il fait terriblement froid dehors, ce lundi matin. Un vent glacial entre dans la pièce. Incapable de supporter plus longtemps les bourrasques, je me résous à fermer la fenêtre et à allumer le sèche-serviette.

Petit à petit, je me détends. Je m'habitue à l'odeur, semble-t-il. Je me douche rapidement, pressée de sortir de mon appartement.

Je pense à mon chat qui, lui, n'aura pas cette chance. Je pense aux déclarations des dirigeants de Lubrizol. Ils se sentent "gênés" pour le "désagrément" occasionnés au bon peuple de Rouen.

Mon potentiel cancer leur répond d'aller bien se faire enculer avec des barres d'uranium.


Lundi 30 septembre, 7h50

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Lundi 30 septembre, 7h50

Je sors de chez moi. Dans la rue, l'odeur est à peine perceptible.

Une fois dans la voiture avec Vio et Nico, nous discutons des pompiers qui sont intervenus sur le site pour éteindre l'incendie. Vio nous raconte qu'une amie à elle est mariée à l'un d'eux, et ses informations sont tout bonnement ahurissantes.

En arrivant à Lubrizol, les pompiers n'étaient pas équipés pour affronter ce qui les attendait. Aucun masque à gaz, tout juste les vieux masques en carton contre la grippe aviaire, qu'il fallait bien écouler. Les employés de Lubrizol, eux, portaient des masques à gaz.

Les masques à gaz pour les pompiers n'ont été livrés que le lendemain, acheminés de bien plus loin puisqu'il n'y en avait pas dans les casernes alentours.

Comment est-il possible qu'à Rouen, ville où s'engraisse allègrement une usine classée Seveso seuil haut, nos pompiers n'aient absolument pas les équipements adéquats pour une telle intervention ?

C'est Micheline de la compta qui s'occupe de la sécurité, en fait ?

Arrivés au bureau, Matt nous apprend qu'il a été réveillé à 2h du matin à cause de l'odeur. Il habite près de chez moi, sur les quais, et s'est pris de plein fouet les émanations de Lubrizol.


Lundi 30 septembre, 14h30

Notre chef nous prévient que demain, l'air sera irrespirable. Avec la tempête qui approche, des vents toxiques sont à prévoir. Je m'interroge sur l'incongruité de la situation : il n'y a pas même une semaine, si on m'avait dit que la météo locale consisterait en premier lieu à prédire l'intensité et le lieu de propagation de gaz toxiques, je n'y aurais pas cru une seule seconde.

Et puisque nous discutons de sujets qui auraient davantage leur place dans un roman post-apocalyptique que dans notre quotidien, nous dérivons sur l'actualité du moment : plusieurs policiers sont en arrêt maladie pour des nausées, vomissements et vertiges. Des bilans sanguins sont en cours. Le syndicat de police est inquiet.

Pendant ce temps, la préfecture maintient que la qualité de l'air est bonne, que les suies ne sont pas dangereuses même s'il faut les nettoyer avec des gants.

Pitié les gars, si vous devez continuer à nous mentir, essayer d'y mettre les formes, c'est vexant à la longue.

L'après-midi passe. Les premiers retours de lecteurs et d'inconnus sur Catastrophe chimique me font plus de bien que ce que j'espérais : j'ai la sensation d'avoir fait quelque chose d'utile en postant ce texte. D'avoir alerté, d'avoir transmis un message important.

Rouen n'est pas seule, et les commentaires que j'ai reçus en sont la preuve, quand bien même les médias nationaux commencent à peine à véritablement s'intéresser au sujet.


~ À suivre ~

Vie d'autrice - RantbookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant