Dire au revoir.

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Le ponton gris devant les nuages. Le bois humide. L'eau, au loin, qui se fond avec le ciel. 

Et au bord... 

Là, tombé sans pouvoir dire au revoir. Là, au bord de l'eau noire d'où surgissent, épaisses et grasses, des bulles bruyantes. 

Là, sans apparences, le visage détrempé de larmes de l'absence.

Les miennes coulent sur ton souvenir, sans pardon, sans avenir.

Ton visage sans trait, sans nom, revient hanter les rues et les quais de gare, ta main sans cesse se tend vers moi, ouvre ses doigts pour disparaître sur ma joue, évaporée, un pissenlit désenchanté qui, dans la brise, fait s'échapper des montgolfières. Toutes, bombée sur le ciel rouges, agitent leur mouchoir blanc : 

- Mais qu'est ce que tu fais encore là ?

Quelqu'un m'a dit, au bout du pont, que j'avais atterrit là, sans que personne ne comprenne pourquoi. Les esprits parlent, s'envolent dans le noir. Les toits blancs tirent leur long draps pour border la ville dans un épais sommeil. Ensemble, les lumières s'élèvent, se prennent par la main pour danser devant les étoiles, des lucioles électriques qui bordent les carrefours. Et moi errant, équarrissant tout un amour, le calfeutrant, seul pour toujours. Barricadant les portes, les fenêtres. Longeant les longs couloirs, enfermant les pièces derrière de longs rideaux pour abattre le jour. 

Quelqu'un m'a demander, tout doucement, ce que je faisais là. - Je ne sais pas. J'attends. 

- Pourquoi tu es revenu ? Viens, il fait sombre ici. Allons-nous en. 

- Attends, j'ai perdu quelque chose ! C'est très important, c'est vraiment très important. Attends. Attends, je reviens. 

Et courir sur le ponton, regarder l'horizon, les barques qui filent. Scruter du regard les silhouettes noires, le lancer vers l'horizon où disparaît la mer. 

- Y a rien ici. Allez, viens, on s'en va ! 

- Attends ! Encore un instant. 

Et arrêter le temps d'une vie, faire attendre le réveil, épancher son corps sur le lit des remords sans jamais s'en relever qu'avec lenteur, douleur. Le corps se vide, s'amaigrit :

- Allez viens ! Faut y aller ! 

Et se recouvrir le corps d'une épaisse couverture. Et faire attendre le jour. Distiller le temps, tirer ses extrémités comme un ruban pour se bander les yeux avec. 

S'accroupir au bord du ponton, s'asseoir au bord et attendre, les jambes ballantes, la tête dans les mains, luttant pour garder les yeux ouverts, rouges, brouillés de larmes.

- Mais qu'est ce que tu fais encore là ? 

- Je ne peux pas m'en aller. Je n'ai pas pu dire au revoir... 



Mots en nage.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant