Un arbre pour une vie.

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           Les bois s'étendent devant moi. Les arbres immenses noient leurs racines dans l'obscurité, et la terre que je foule, escalade à mesure que la pente m'emmène plus loin, se noie peu à peu dans la brume : c'est comme si j'étais dans le ventre de ma mère. La vapeur s'enroule autour de ma nuque et réchauffe mon corps transi. Mes jambes se recroquevillent, je ferme les yeux. Une odeur de gâteaux et de sucre chatouille mes narines, celle de la lessive, du savon doux qui glisse sur mon dos humide. Je tends les bras dans le noir épais de mes souvenirs : tu es là. Enfant. Tes  cheveux roux bouclent autour de tes oreilles, ton nez fin pointe doucement au milieu de ta figure : deux brioches rosées se bombent au niveau de tes pommettes. Qu'est ce que j'aimerai pouvoir les mordre, m'en saisir, les arracher et les serrer tout contre moi. Je te vois escalader l'échelle d'un toboggan, tu disparais un instant, glissant jusqu'au sol : ma tête qui se penche en avant t'aperçoit, tu me fais signe. J'ai peur. Tu m'appelles. J'ai peur ! Tu me souris, me rassure, ouvre les bras pour accueillir mon corps qui se lance. Mon nez dans ton cou, ma respiration haletante qui se calme : j'ai réussi ! J'ai réussi ! Tu sens le savon et le miel. Tu te moques gentiment de moi tout en me félicitant. J'ai réussi !

Tes bras autour de moi ont disparu. Le vide est un liquide étrange qui m'engloutit lentement.  

Des lianes tombent tout autour de mon dos, de mes bras et portent mon corps jusqu'aux branches les plus basses que j'escalade d'un air circonspect quand, rassuré, j'ose relever mes paupières. 

Le monde se découvre à mesure que je m'élève autour du tronc. L'écorce rêche griffe mes paumes, brûle le bout de mes doigts. J'aperçois entre les feuillages les toits de notre enfance. Je vois nos corps gambader entre les aires de jeu. Les tuiles brunes, les briques rouges, les champs de betteraves, les salades qui se bousculent le long des rangées de maïs entre lesquels tu te caches, l'air malicieux. Je vois ta jupe qui ondule devant le portail du lycée. Je vois mon bras autour de tes épaules, le courage que je pousse vers ton dos. Ton air doux qui se penche vers moi dans les moments difficiles. Ta joie, ta force. Ta liberté.

Encore une branche : des disputes. 

Encore une branche : des colères. 

Encore une branche : des bras aimants, réconciliés. 

Encore une branche : ...

Encore une branche : la cime de l'arbre se perd dans un nuage épais où ne parviennent plus que l'écho indistinct de mes cris et de mes pleurs. 

L'aube s'est éteinte, seul le vent souffle sur les images, les perd dans le vague insensible du nuage qui passe sur la plaine d'une vie. Et plus une seule branche.

Mots en nage.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant