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  L'aiguille de l'horloge trottait. Sa course effrénée ne cessait jamais, elle semblait courir après un avenir qu'elle n'aurait jamais : elle n'était qu'une trotteuse. Cependant, un jeune homme, depuis sa chaise, l'observait avec attention. Il attendait qu'elle atteigne le chiffre douze. Son trajet paraissait n'en jamais finir, ses déplacements beaucoup trop lents.
—À lundi ! s'exclama-t-on finalement.
On échangea plusieurs salutations, puis l'on partit. Le jeune homme, satisfait de voir l'horloge afficher l'heure qu'il attendait tant, soupira. Il put ranger ses affaires et se diriger d'un pas pressé vers la sortie.
—Jooheon ! quelqu'un l'interpellait.
Il se retourna vers la provenance de la voix.
—J'aimerais que tu me proposes une nouvelle mise en page, celle que tu m'as donnée n'est absolument pas convenable, elle est beaucoup trop fournie et fouilli, ça détruit tout le côté attrayant. J'ai été déçu. Du coup, je t'ai renvoyé une nouvelle charte graphique par e-mail. J'attends le résultat pour lundi.
  Jooheon ne put qu'accepter avant de quitter le bureau.
  Après s'être incliné face à son supérieur, il dévala sans attendre les escaliers et retrouva l'air pollué de la ville. Il ne perdit pas un instant et, tout en enfilant sa veste, sa sacoche pendue au cou, il trottina à un rythme saccadé jusqu'à la station de métro la plus proche. Rendu légèrement essoufflé par le chemin parcouru, il s'assit sur le banc, le regard rivé sur le carrelage froid et martelé par les milliers de pas quotidiens. L'air tiède lui faisait regretter d'avoir remis sa veste. Il sentait déjà des auréoles se former contre sa peau. Un vieil homme prit place à ses côtés. Son poignet frêle levé à hauteur de ses yeux, il observait attentivement sa montre, comme s'il cherchait à coïncider l'arrivée du métro avec l'heure indiquée sur le panneau d'affichage. Ses épais sourcils se froncèrent lorsqu'il reposa sa main sur sa jambe. Il se tourna alors vers Jooheon.
—Dites-moi, jeune homme, commença-t-il en tapotant du doigt le panneau. Les horaires affichées là sont-elles justes ?
—Je crois bien que vous me montrez les horaires du samedi et du dimanche monsieur, ce ne sont pas les mêmes qu'en semaine. Le prochain métro devrait arriver dans... quatre minutes.
  Le vieil homme acquiesça, reconnaissant pour ces renseignements, et jeta un dernier coup d'œil à sa montre.
—Merci bien, je m'y perds dans toutes ces informations. J'avais peur être en retard. C'est que tout semble marcher beaucoup plus vite ici !
  Jooheon ne put qu'approuver les dires du vieil homme, et, comprenant qu'il n'était pas de la ville, lui demanda d'où il venait.
—Je viens d'un petit village à deux heures d'ici, lui expliqua alors le concerné. Je suis ici pour rendre visite à mes petits-enfants, je les vois si peu...

  Quatre minutes plus tard, le long tube métallique entrait dans le tunnel et s'arrêtait enfin. Tout en suivant les marquages au sol indicateur des entrées dans les wagons, Jooheon se faufilait à contre-courant dans la foule qui descendait pour inonder la station sous-terraine. Il perdit de vue le vieil homme. Il se glissa dans le long véhicule juste à temps, et ne tarda pas à entendre la fermeture des portes. Coincé entre une mère accompagnée de ses enfants et un groupe d'adolescents, il ne put atteindre aucune barre de maintien et se retint de basculer quand il sentit les roues s'actionner. Debout au milieu de ce flot de personnes, son corps souffrait d'autant plus de la chaleur. D'une main hésitante, il défit les deux premiers boutons de sa chemise désormais humide. Si cela ne tenait qu'à lui, il se serait débarrassé du tissu bleu. Il lui restait encore onze stations.

  Deux ans plus tôt, après avoir terminé ses quelques années d'études, il avait postulé en tant que maquettiste à la petite entreprise dans laquelle il travaillait à présent. Son boulot consistait à retranscrire les exigences de son patron sur les unes d'un vulgaire magazine agricole et à organiser quelques pages de publicité. Il n'avait jamais espéré ni voulu un tel emploi, il s'était seulement contenté d'un poste proche et pratique, n'ayant pas vraiment d'autre choix. Son jeune âge et sa situation financière peu confortable l'avaient précipité à se caser.
  Il n'aimait pas son métier, et craignait que cela se ressentît dans son travail. Alors il se surmenait, mais ne réussissait à contenter personne. Durant les premiers mois dans la société, il n'avait été que le larbun de son supérieur et de ses collègues, tous en proie à une pression constante, et à qui n'échappa Jooheon lorsque son rôle se concrétisa. Un stress continuel l'habitait désormais, sans cesse alimenté par le rythme effréné de la ville et sa population oppressante.

  Son arrêt fut finalement énoncé par une voix froide et automatique. Il se détacha de la barre qu'il avait pu atteindre quelques minutes plus tôt et suivit la masse humaine hors de la station. Quand il retrouva l'air extérieur, il soupira. Qu'est-ce qu'il avait eu chaud là-dessous... pendant un quart d'heure, il marcha à un rythme excessivement lent ; il prenait son temps, heureux d'avoir terminé sa semaine. Il décida de s'arrêter dans un café afin de refaire la mise en page précédemment demandée par son chef. Sa veste sur le bras et sa sacoche pendue à l'autre, il s'installa dans le coin qui lui sembla le plus calme, éloigné des fenêtres, et sortit son ordinateur dans un souffle agacé.
—Plus vite je m'en occupe, plus vite j'en serai débarrassé, murmura-t-il pour lui-même en guise de motivation.

  Mais il savait qu'il en avait pour un long moment. Il devait revenir en arrière sur son projet après avoir passé plusieurs heures dessus. Il se mit alors au travail, peu déterminé, tout en sirotant un café beaucoup trop sucré. Cette boisson eut pour résultat de le maintenir éveillé jusqu'à la tombée de la nuit, malgré la fatigue exténuante que ressentait Jooheon. Il termina le projet à son troisi café, et put enfin cliquer sur « envoyer », une fois l'e-mail finalisé. Refermant son ordinateur, il passa une main moite dans ses cheveux d'un noir brûlé et soupira. Il allait enfin pouvoir rentrer chez lui. 

採摘 • la cueillette Où les histoires vivent. Découvrez maintenant