deux

70 13 18
                                    

  Encore endormi, Jooheon grogna à l'entente des cris sinistres de son réveil. Lundi était bien vite arrivé. Son week-end, qu'il avait espéré reposant, s'était avéré être le contraire. En milieu de journée, le samedi, le concierge de l'immeuble était venu toquer en urgence pour lui annoncer une fuite importante dans la tuyauterie. Deux heures plus tard, son appartement était inondé. Il avait tout juste eu le temps de sauver l'essentiel de ses affaires, qu'il avait entassées sur son bureau, et il avait ensuite, une fois les pieds pataugeant dans l'eau, dû couper l'électricité. L'intégralité de la fin de son après-midi avait alors été consacrée à l'évacuation de l'eau, et la journée du dimanche à la réparation des dégâts. Ses meubles n'avaient pas été épargnés, et son futon, sur lequel il dormait habituellement, en était ressorti totalement détrempé. Jooheon avait donc dû dormir sur son canapé, un vieux sofa récupéré par le propriétaire des plus inconfortables, dont le tissu abîmé ne couvrait plus correctement les rebords.

  Dans un soupir résigné, le jeune homme finit par se lever et étira ses membres endoloris par l'inconfort de leur position. Il se leva et, d'un pas las, se dirigea vers l'espace cuisine. Un café en main, il prépara ensuite ses affaires et s'habilla gauchement. Il jeta un coup d'œil à son téléphone. Sept heures douze. Il était déjà en retard. Ses chaussures non-lacées, il quitta sans perdre de temps son appartement et courut dans la rue en direction de la station de métro. Sur la route, il trébucha et atterrit violemment face contre terre. Un commerçant sortit de sa boutique pour lui venir en aide.
—Vous allez bien, monsieur ? Vous avez l'air assez pressé.
—Oui, oui, ce n'est rien, juste une égratignure. Merci.
  Jooheon se releva en s'appuyant sur son genou, assisté par le commerçant. Après avoir dépoussiéré ses vêtements, il demanda d'une voix inquiète :
—Excusez-moi, pourriez-vous me donner l'heure s'il vous plaît ?
—Il est sept heures vingt-huit, monsieur, répondit l'homme.
  Les sourcils de Jooheon se froncèrent tandis qu'il jurait entre ses dents. Il voulut reprendre sa course mais dut cependant fortement ralentir, freiné par la douleur à sa jambe droite. Il n'avait désormais plus le temps de saisir le bon métro, et devrait alors attendre le suivant, qui n'arriverait qu'un quart d'heure plus tard. Sa main, abîmée par la chute, passa avec irritation dans ses cheveux. Il parcourut quelques mètres encore avant de se laisser tomber sur un banc, au détour d'un parc. En baissant le regard sur ses jambes, il remarqua un trou dans son pantalon, au niveau du genou. Le tissu déchiré était parsemé de gouttelettes de sang. Il soupira, exaspéré par ce début de journée. Il ne pouvait pas rentrer chez lui.

  Il arriva en fin de compte à son travail avec une vingtaine de minutes de retard. Son patron ne manqua pas de le lui reprocher.
—C'est pas la première fois, je crois que tu n'as pas compris le concept d'arriver à l'heure. On n'est pas à la cour de jeu, là, chacun n'arrive pas quand ça lui chante, décréta-t-il.
  Jooheon s'excusa aveuglément tout en s'inclinant à l'horizontale.
—Je n'ai pas eu le temps de...
  Il commença bêtement à se justifier, mais la parole lui fut rapidement coupée par son interlocuteur :
—Et c'est quoi cette tenue ? Ta chemise n'est pas boutonnée correctement, et... je rêve ou t'as un trou dans ton pantalon ?
—Je suis tombé ce matin, articula Jooheon sans pour autant relever la tête.
  Son patron souffla d'agacement et détourna les yeux avec dédain.
—Bon, vas travailler, et dépêche-toi, t'as intérêt à rattraper ton retard.
  Se redressant enfin, le retardataire hocha la tête et s'en alla en direction de son bureau. Une paire de lunettes sur le nez, il sortit son ordinateur ainsi que plusieurs classeurs et se mit au travail.

  Sous le regard sévère de son supérieur, il s'efforça d'être le plus minutieux possible, et resta même travailler une heure supplémentaire en fin de journée. Il ne partit que lorsque l'horloge commune approcha les vingt heures. Il rentra chez lui avec une légère douleur au ventre qui l'empêcha, comme sa chute le matin-même, de marcher à son rythme habituel. Le soir, il se fit chauffer un plat de nouilles instantanées et se coucha sur son canapé, glissé sous une couverture, non sans avoir vérifié une dernière fois son travail. Le lendemain matin, à son réveil, sa douleur était toujours présente, et surtout plus intense. Il mit cela sur le compte de sa mauvaise et trop insuffisante alimentation, et ne se laissa pas perturber par ce mal. Il partit au travail, avec quelques minutes d'avance cette fois-ci. Le même schéma se reproduisit le mercredi matin, puis le jeudi. Il attendit le vendredi soir pour consulter un médecin.

—Vous n'êtes pas vraiment malade, monsieur Lee, lui annonça ce dernier à la fin de la consultation, tandis qu'il rangeait son matériel. J'aimerais savoir, est-ce que vous travaillez beaucoup ?
—Je ne sais pas... comme tout le monde, je dirais.
—Vous sentez-vous stressé par l'ambiance du travail ?
—Un peu.
  Jooheon marqua une pause puis se corrigea.
—Beaucoup, en fait...
—Y a-t-il eu dernièrement des événements qui auraient pu vous accentuer votre stress ?
—Oui, j'ai eu une inondation ce week-end.
—Il n'y a plus de doute, dans ce cas. Vous faites un burn-out, monsieur Lee. La seule chose qui peut vous soulager est de faire une pause, de vous éloigner un peu de vos préoccupations. Prenez quelques jours, voire semaines de congé, cela ne vous sera que bénéfique. Je vous conseille de passer un peu de temps hors de la ville, allez passer quelques temps dans un village, rendez visite à votre famille. Changez-vous les idées !
  Le médecin lui tendit un certificat et lui annonça alors le prix de la consultation. Tandis qu'il sortait sa carte bancaire, Jooheon lui demanda timidement si ses congés seraient payés ou non.
—Normalement oui, votre arrêt est lié à l'emploi.
  Le jeune homme acquiesça, rassuré, puis quitta le cabinet. En rentrant chez lui, il se décida à appeler son patron pour le lui annoncer, mais ne put s'empêcher d'angoisser tout en composant le numéro. Il se résigna et prit la décision de passer au bureau le lundi.

採摘 • la cueillette Où les histoires vivent. Découvrez maintenant