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  Comme prévu, Jooheon se reposa jusqu'au lendemain matin. Il se réveilla en bien meilleure forme et alla directement prendre son petit déjeuner en compagnie de Madame Jeon. Une tasse de café entre les mains, il l'écoutait lui raconter le programme chargé de sa journée. Elle travaillait beaucoup pour une vieille femme.
—Vous retrouverez Minhyuk dans les champs, je lui ai dit d'aller travailler au cas où vous seriez encore malade. Pendant ce temps, j'irai vendre quelques cagettes de fruits au marché.
  Le jeune homme hocha la tête et termina sa boisson d'une traite. Il prévint la fermière qu'il allait s'habiller et partit dans sa chambre se préparer. Il attrapa dans l'armoire quelques vêtements au hasard, puis ressortit de la pièce. Il revint dans la cuisine et ne fut pas surpris de voir que Madame Jeon était déjà partie. Il devrait donc retrouver Minhyuk parmi toutes ces parcelles seul. Il se dépêcha d'enfiler une paire de tennis et sortit de la maison. Il traversa la cour et retrouva la végétation étendue à perte de vue. Un soleil lancinant surplombait les champs, se reflétant sur les feuilles des arbres. Jooheon se faufila entre les rangées et suivit les allées. Protégé par les branches de l'éclat solaire, il regardait de tous les côtés, à la recherche de l'apprenti. Il marcha plusieurs minutes, peu sûr du trajet qu'il prenait, avant de finalement apercevoir une silhouette baissée. Il reconnut Minhyuk et s'approcha. Quelques notes fredonnées l'atteignirent et il se fit d'autant plus discret pour écouter la mélodie. C'était une vieille chanson coréenne, dont les paroles baignaient d'une certaine nostalgie. Jooheon fit quelques pas, et Minhyuk leva la tête vers lui. Son chapeau doré glissa et tomba devant ses yeux. Il le redressa du dos de la main et adressa à Jooheon un rictus.
—Tu vas mieux ? Je ne pensais pas que tu pourrais m'aider aujourd'hui.
  Il posa au sol les outils qu'il tenait et s'approcha de Jooheon. Un de ses mains se glissa dans la poche de son short tandis que l'autre passait énergiquement dans les cheveux de ce dernier, brillants d'une noirceur limpide dont les brins s'étaient réchauffés au soleil.
—Tu devrais mettre quelque chose sur ta tête, ça va taper toute la journée, fit-il. Suis-moi, je dois avoir des chapeaux en plus.
  Il s'engagea dans une des allées qu'ils avaient empruntée la veille et qui menait à la cabane à outils. L'un derrière l'autre, ils restaient muets. Jooheon suivait de près Minhyuk, observant inconsciemment sa carrure. Les épaules couvertes du jeune apprenti s'affaissaient au rythme de ses pas. Sous le tissu clair de son haut, on pouvait apercevoir une peau dotée d'un halage doré, provoqué par les nombreuses heures passées au soleil. Ses jambes présentaient la même dorure. Élancées, elles voltigeaient au-dessus du sol et balançaient le corps du jeune homme dans une courbe gracieuse. Minhyuk finit par s'arrêter et Jooheon, distrait, lui rentra presque dedans. L'apprenti tourna la poignée grinçante de la porte en bois et entra dans la cabane. Il attrapa un panier, entassé parmi d'autres dans un coin, puis désigna un couvre-chef de la même allure que le sien.
—Tu veux le prendre ? proposa-t-il à Jooheon qui accepta immédiatement.
  Il lui fit signe de ressortir et lui expliqua sa tâche.
—Toi, tu vas faire comme je faisais hier, c'est à dire la cueillette. De mon côté, je vais ramasser les fruits pourris.
  L'intéressé hocha la tête, refermant derrière lui la porte de bois. Le trajet inverse se fit dans le même calme qu'à l'aller, seul le bruit du craquement de leur semelle contre la terre brisait le silence. Ils retrouvèrent le précédent emplacement de Minhyuk et commencèrent leur tâche. Jooheon enfila une paire de gants traînant au fond du panier. Ses mains désormais enfouies sous le tissu tâché de terre s'élevèrent au niveau d'une branche et en cueillirent un fruit. Le nashi présentait quelques striures.
—Est-ce qu'il faut le garder même s'il est abîmé ? questionna Jooheon, douteux.
  L'apprenti, qui était alors dos à lui, occupé près d'un autre arbre, hocha la tête.
—On les triera plus tard, mets-les quand même dans le panier.
  Il détacha un nashi mangé par les oiseaux et le lâcha dans un second panier. Finalement, il se retourna et vint se placer à côté de Jooheon. Il observa ce dernier un instant tandis qu'il saisissait d'autres nashis. Brusquement, il l'empêcha d'atteindre un fruit en attrapant ses doigts. Le jeune homme leva vers lui un regard surpris.
—Celui-ci n'est pas mûr, se justifia-t-il. Il est trop clair. Prends plutôt celui-là.
  Minhyuk étira son bras jusqu'à une branche différente et en décrocha un fruit à l'épiderme brun.
—Ceux de cette couleur sont à cueillir en priorité, dans quelques jours ils seront trop mûrs.
  Pour illustrer ses propos, il lança le nashi dans le panier. Il tira alors vers lui la corbeille aux fruits pourris et se concentra sur sa propre tâche. Tout en inspectant les branchages, il commença à bavarder.
—Parle-moi de toi, Jooheon.
  Le concerné se vit pris au dépourvu, que pouvait-il répondre à cela ? Il réfléchit un bref instant, à court de mots.
—J'aime bien l'horlogerie, annonça-t-il finalement.
  Minhyuk s'étonna de cette réponse, il lui demanda ce qui lui plaisait dans ce domaine, intrigué.
—Je pourrais pas te dire exactement... le temps est fascinant, tout comme les mécanismes qu'on trouve dans une montre.
—Mais tu n'es pas horloger ? Comment ça se fait ?
—Non, j'aurais bien aimé pourtant... mais bon, y a pas vraiment de débouchés, et puis maintenant les systèmes ne sont plus vraiment les mêmes, beaucoup de gens prennent des montres à quartz.
—Je ne savais pas qu'il y avait plusieurs types de montres, déclara l'apprenti en arrachant une carcasse de nashi.
  Il écouta Jooheon lui expliquer avec ferveur la différence entre montres mécaniques et montres à quartz. Ce dernier tenta de mimer à plusieurs reprises les mouvements des différents mécanismes. Dans ses paroles ressortaient une précision étonnante, témoignant de l'intérêt que Jooheon portait à ce sujet. Il réussit, à sa propre surprise, à intéresser son interlocuteur qui l'écoutait avec grande attention. Après un long monologue, il s'arrêta, soudain coupable de monopoliser la conversation.
—Pardon, je parle trop, s'excusa-t-il en se reconcentrant sur son arbre.
  Minhyuk sourit face à la chute d'enthousiasme du jeune homme.
—Tu peux parler autant que tu veux, ça ne me dérange pas. Au contraire ! J'apprends des choses.
—Toi aussi, parle-moi de toi, l'incita Jooheon en ignorant son intervention.
  Il se tourna vers l'apprenti, les lèvres étirées. Minhyuk, tandis qu'il réfléchissait, remarqua une inquiétante fragilité derrière le sourire du jeune homme. Une humidité constante faisait briller ses pupilles depuis la veille au soir, elle trahissait une préoccupation permanente.



採摘 • la cueillette Où les histoires vivent. Découvrez maintenant