quatorze

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  Jooheon ne fut pas étonné à son réveil de voir le matelas à côté du sien vide. Avec une certaine mollesse, il se redressa pour s'étirer puis, une fois debout, quitta la chambre, à la recherche de son hôte. Il le retrouva accoudé à une fenêtre, un verre d'eau à la main, semblant observer l'horizon éclairci par l'aube. À son approche, Minhyuk se retourna, tout sourire.
—Ah, tu es debout. Bien dormi ?
  Tout en baillant, Jooheon hocha positivement la tête.
—Tant mieux ! Prépare-toi vite, je te dépose chez Madame Jeon.
—Tu ne viens pas ? demanda le concerné, hébêté.
  Minhyuk répondit négativement alors qu'il attrapait un sac.
—Je rentre demain, dans l'après-midi.
  Étourdi, Jooheon le regarda s'apprêter quelques secondes, mais il se reprit et se dépêcha d'aller se changer. Une fois ses vêtements remis et ceux de Minhyuk pliés, le jeune homme entreprit de ranger le futon sur lequel il avait dormi. Cinq minutes plus tard, il était de retour dans le salon, également prêt. Il emboîta le pas de l'apprenti et le suivit jusqu'à la ferme de Madame Jeon. Durant le court trajet, il voulut à plusieurs reprises adresser la parole à son ami, mais il ne dit rien. À la place, écoutant les craquements de ses chaussures contre la terre granuleuse, il pensa à l'absence annoncée de Minhyuk. Il craignait de devoir rentrer sans avoir l'occasion de le revoir. De nouveaux
messages de la part de son patron lui avaient été envoyés depuis la veille au soir. Il envisageait alors, par ce qu'il associait à de la prudence, de rentrer chez lui, près de son lieu de travail, pour agir en cas d'urgence. Cette prudence n'était cependant que le produit de la pression exercée efficacement pas son supérieur. Alors qu'il s'apprêtait à arrêter Minhyuk pour lui annoncer son départ prochain, quelque chose le retint, et il n'osa pas. Il le suivit, entrailles serrées, dans l'entrée de la ferme, où Madame Jeon vint les accueillir. Elle discuta quelques minutes avec l'apprenti, lui proposa de grignoter quelque chose, mais ce dernier refusa poliment. Il se tourna plutôt vers Jooheon et posa une main sur son épaule, jovial.
—À demain ! lui adressa-t-il.
  L'intéressé lui sourit et agita faiblement sa main. Il regarda Minhyuk passer le seuil de la porte et rejoindre la route en trottinant.
—Avez-vous faim ? interrogea la fermière en se retournant en direction de la cuisine.
—Un peu, oui, rétorqua Jooheon en la suivant.

  Après quelques minutes de silences, il osa questionner timidement Madame Jeon sur la destination de l'apprenti.
—Comme il ne travaille pas le week-end, il part rejoindre ses parents, qui habitent à une trentaine de kilomètres d'ici.
  Jooheon hocha lentement la tête après la glose de la fermière, puis s'empara de la cafetière et d'une tasse vide. Le liquide chaud à proximité de ses lèvres, il observa avec déception la fenêtre carrelée face à lui, qui donnait sur la cour vide. Il hésitait à partir le lendemain. Une part de lui, angoissée, l'encourageait avec appréhension à rentrer, tandis qu'une autre voulait l'en dissuader. Il n'eut pas le temps de délibérer, la voix rauque de Madame Jeon résonna, lui expliquant le programme de la journée. Il riva sur elle son regard pour se concentrer sur ses dires.
—Aujourd'hui, c'est une journée-marché. On en fait deux différents, un ce matin, un cet après-midi. J'espère que vous êtes en forme !
  La réponse positive de Jooheon fut peu convaincante pour la vieille femme qui lui frotta énergiquement le dos en l'encourageant. Consciente des liens qui s'étaient formés entre son apprenti et son invité, elle se doutait que l'absence de Minhyuk était en partie la cause de la baisse de motivation de Jooheon.

  Quand leur petit-déjeuner fut terminé, ils allèrent charger la camionnette rouillée de Madame Jeon. Les différentes cagettes de fruits empilées à l'arrière du véhicule, ils montèrent à bord et prirent la route. Le trajet ne fut pas long, cependant la matinée qui s'en suivit parut éternelle à Jooheon. Assis derrière l'étalage aux côtés de la fermière qui discutait joyeusement avec quelques acheteurs, il se contentait de rentrer l'argent dans une caisse. Les quelques heures passées à ce marché ne furent pas très mouvementées, malgré le nombre important de personnes qui défilèrent entre les différents étalages. Aux alentours de treize heures, Madame Jeon annonça qu'ils pliaient bagage et changeaient de ville. L'après-midi eut la même allure que le matin, ennuyant, et fut même pire : avec la chaleur, il y eut deux fois moins d'acheteurs. La journée terminée, il rangèrent les cagettes de fruits pour de bon. Ils roulèrent jusqu'à la ferme.
—Je vous laisse ici, vous pourrez vous reposer, je n'ai plus besoin de vous, annonça Jeon Sunhee en faisant une halte dans la cour de sa demeure.
—Vous êtes sûre ? questionna Jooheon en descendant de la camionnette, hésitant.
—Oui, vous m'avez beaucoup aidée déjà, vous avez bien droit à un peu de repos !
  Elle lança un dernier sourire au jeune homme avant de redémarrer et de repartir en direction des champs. Jooheon traversa d'un pas las la cour et rentra, heureux d'avoir un peu de temps libre devant lui. Il retrouva sa chambre de séjour et en profita pour se changer et quitter ses vêtements humides. Habillé de tissu propre, il se sentit rafraîchi. Il put enfin s'affaler sur son lit et attrapa, par réflexe, son téléphone. Sans surprise, il vit le message envoyé par son patron la veille et décida de l'appeler. En entendant la voix sèche de son supérieur, il eut envie de mettre fin immédiatement à la conversation avant même qu'elle ne commence.
C'est maintenant que tu m'appelles ?
  L'employé s'empressa de s'excuser, tête baissée.
Enfin bon... j'ai besoin de boucler un dossier pour l'entreprise SeoDuang, et Inha m'a dit que tu t'étais occupé des maquettes.
—J'avais commencé, confirma Jooheon, mais je n'avais pas pu terminer.
Très bien, transfère moi les fichiers avant mardi, c'est urgent.
Je n'ai pas mon ordinateur avec moi.
  Un soupir agacé se fit entendre à travers le cellulaire.
Et on fait comment alors ? On est surchargés en ce moment, tu le sais très bien. Tout le monde travaille d'arrache-pied ici, tu penses qu'on a le temps de rajouter d'autres tâches en plus des tiennes dont on doit déjà s'occuper ?
  Jooheon se sentait énormément embêté pour ses collègues, conscient du poids qui reposait sur leurs épaules. Résigné, il devait trouver un moyen pour envoyer ses maquettes à son patron. Ce dernier raccrocha sans s'attarder.

採摘 • la cueillette Où les histoires vivent. Découvrez maintenant