C'est une très vieille histoire

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Aujourd'hui, je n'avais pas été le plus tendre des enfants. Mes crises de fils unique l'excédaient parfois. Bien sûr, elle ne m'en tenait pas rigueur bien longtemps. Seulement, je culpabilisais. Elle le perçut et m'en questionna. Je ne répondais que d'un mouvement affirmatif, qui illumina son visage. Elle me rassura, m'embrassa sur le front, avant de se remettre droitement.

« Ne t'inquiète pas, petite j'étais pareil.

- Mais tu avais une sœur, toi, non ? »

Elle se contracta puis se détourna. Ses yeux marron scrutèrent le mur et bientôt une triste moue l'anima. Sa mâchoire se crispait en une vaguelette discrète et rythmée.

« Oui. J'avais. »

Le silence s'ensuivit et un malaise palpable côtoya la fraîcheur de la nuit. Elle rentra ses mains dans les manches de son pull-over pailleté et zébré noir et blanc, tricoté par un parent d'élève.

« J'ai dit quelque chose de mal, demandais-je après un temps infiniment long.

- Non. »

Son mutisme gagna un peu plus en puissance. Son humeur changeait. Le ton avec lequel elle me répondait ne ressemblait en rien à son habitude. Même lorsqu'elle me disputait, elle gardait une certaine douceur. Le poids du passé l'accablait. Je n'en comprenais pas grand-chose, elle refusait de discuter de sa famille. Ignorer sa vie m'énervait, c'est pourquoi, dans un élan de courage, j'osais timidement :

« Maman ?

- Oui, répondit-elle, examinant assidûment ce mur au bleu ciel.

- Pourquoi tu ne me parles pas d'elle ? »

Elle soupira. Ses doigts se posèrent affectueusement sur mon épaule, par-dessus la couverture. Usée, elle représentait une voie lactée low cost. Ses couleurs ne ressemblaient plus en rien à celles d'origines. L'enseignante porta ensuite un regard déchirant sur moi. La courbure de ses lèvres trahissait son émotion, mais sa fragilité s'exprimait pour elle. Sa voix enchaîna subitement :

« Parce qu'il n'y a rien de plus à en dire.

- De quoi elle est morte, rétorquais-je maladroitement, piqué par la curiosité.

- Je comptais t'en parler quand tu serais plus grand, mais je crois que je ne vais pas avoir le choix, le temps est venu, compléta-t-elle après un vif frisson.

- Que s'est-il passé ?

- C'est une très vieille histoire, mais j'ai peur qu'elle se réalise une fois encore. Je ne me le pardonnerais jamais si cela devait t'arriver. »


Ses paroles étaient trop vagues, mais j'écoutais, imaginant naïvement que cette histoire réussirait à me bercer cette nuit-là. Sa voix était grave. Elle déglutissait régulièrement, toujours avec ce sourire tremblant.

Ses iris me fixaient. Ils estimaient ma valeur, presque. Ils pétillaient comme un millier de lucioles dans l'obscurité. Ne parvenant son jugement, une première vague lacrymale brilla, la forçant à battre des paupières activement. Elle la refoula sans grande peine en feintant d'observer le plafond, dont les poutres apparentes donnaient un charme à cette maison âgée.


« Ce n'est pas une belle histoire, s'arrêta-t-elle. Mais c'est intimement lié à ce mois de novembre. Si je ne te la raconte pas, j'ai peur de regretter. »


Elle se leva laborieusement et quitta la chambre. Le matelas n'eut à peine le temps de recouvrer sa forme d'origine, qu'elle revint, des feuilles à la main. Il s'agissait de mes dessins. Elle me les montrait à la suite sans un mot. Un point commun semblait les unir.

Délivre-toi Des SongesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant