Mensonge

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Je n'osais poser d'autres questions à ma mère. Je ne lui parlais que par nécessité. Son bouleversement brutal m'effrayait. Elle m'intimidait. Le sommeil était, par ailleurs, si léger, que la fatigue me gagnait toujours plus tôt. Je devenais incisif, parfois. Inconsolable, souvent. Je fondais même en larme, sans raison. Je baignais dans une atmosphère lourde, perpétuelle.

Je portais mon attention à tout détail. Mes oreilles restaient à l'affût du moindre bruit. Cette concentration me demandait un effort constant, épuisant. Cette situation soudaine et toxique exigeait des explications. Au dîner, alors qu'aucun évènement n'était venu rompre la quiétude de ce dimanche, et malgré l'extrême gentillesse de ma mère, j'osais, sans filtre :

« Je ne comprends plus rien.

- Tu n'iras pas à l'école demain. Tu as besoin de te reposer et je veux être là quand c'est le cas. On va affronter ça ensemble, je ne laisserais personne t'enlever à moi. »

Ses mots sortirent aussi naturellement que l'eau d'un robinet. Elle semblait avoir préparé sa phrase depuis le début, comme pour contrer mes éventuelles questions. Je n'en dis rien, scrutant mon assiette de haricots et de riz, baignant dans l'excellent jus de viande rouge déjà terminée.

Je jouais avec ma fourchette, séparant les grains des légumes verts. La conversation prenait fin avec sa réponse. Frustré, toutefois, je retentais :

« C'était qui, ce matin ?

- Qui ça, demanda-t-elle, subitement intéressée, calant ses épaules contre le dossier.

- Le monsieur qui a sonné.

- Un élève particulier. Tu sais je fais des cours d'alphabétisation et de français. Tu t'en souviens ?

- Il parlait bien français pourtant, enchaînais-je, impassible.

- C'est vrai, il a fait des efforts considérables. Il vient tous les dimanches, pour prendre la leçon de la semaine, et me donner ses exercices. Tu nous écoutes discuter ?

- C'est dur de pas entendre sa grosse moto, c'est tout, bluffais-je de manière incohérente.

- Je suis désolé. J'irais directement le voir la prochaine fois. Ne t'étonne pas si j'y passe plusieurs heures. »

Elle ne semblait pas à l'aise. Elle bégayait, ou agrémentait ses phrases d'un « heuuuu » instable. Elle se dandinait sur sa chaise et chassait régulièrement les mèches brunes de devant ses yeux. Ces derniers ne m'abandonnaient à aucun instant.

La télé m'avait appris qu'un menteur agissait de la sorte. L'incertitude m'envahissait. La femme en face de moi avait tant changé en deux nuits.

Je la quittais pour observer à nouveau mon plat, que je dévorais sans trop de peine. « Interroge ton cœur, mon petit ». L'énigmatique panneau hantait mes pensées.

Depuis que cette femme m'avait parlé de l'homme à la couverture, ma vie devenait un puits de confusions, de doutes et de questions.

Je débarrassais mon assiette, demandais poliment à sortir de table, puis me réfugiais dans ma chambre. Mon comportement, peu habituel, la heurta un instant, mais aucun interrogatoire n'eut lieu. Je me brossais les dents, m'habillait pour la nuit et m'enroula dans mes draps, une heure avant le coucher. Je refermais même la porte, pour marquer ma rébellion.

Cette fois, je ne souhaitais qu'une chose. Une seule et unique : une conversation avec l'homme à la couverture. Expliquer ce qu'il était, pourquoi et son but. Mon courage tirait sa source de la frustration. Les mensonges, les questions, les non-dits me rendaient fou. Il me fallait des réponses, vite. Et quand bien même, jusqu'alors, je n'avais jamais compris ses mots, cet étranger paraissait le seul à pouvoir m'éclairer. 

Délivre-toi Des SongesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant