6 juin 1915

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Bonjour, Maman.
Il fait chaud. Enfin, seulement la journée. Maintenant, il fait frais. C'est la seule chose qui me fait sourire, maintenant.
Le petit boch vient me rendre visite, quand je dors. Parfois, il veut juste jouer à cache-cache. Parfois, il me demande pourquoi je l'ai tué.
L'idée de Jacob commence à prendre de l'ampleur. Les autres sont prêts à faire changer les choses. Même si ça signifie que nous serons exécutés à genoux et en ligne. Nous n'avons rien à perdre, Maman. Mais je pense que ça ne changera rien. Ça n'a rien changé pour ceux qui l'ont déjà fais.
J'ai eu le temps de réfléchir, tu sais. Pendant cette année, où les copains du collège font des équations. Moi, j'ai entendu tout ce que m'a dit le chef. J'ai entendu mes camarades hurler avant de mourir. J'ai compris que nous n'étions pas à notre place.
Ce n'est pas moi qui ait voulu la guerre, Maman. Ni aucun de nous. On fait le boulot, c'est tout. Ceux qui sont sur le trône du pays, c'est eux qui nous ont envoyé là. Nous perdons nos vies pour eux. Pas pour la France.
De l'autre côté du champ de bataille, les soldats ne rient pas. Ils pleurent, comme nous. Nous sommes des marionnettes qui s'entretuent, Maman. Le petit boch ne voulait faire de mal à personne. Il a juste appuyé sans faire exprès.
Je veux vivre, Maman. Mais c'est trop tard. Jamais je ne pourrais te demander pardon assez de fois pour avoir pris cette décision.
Demain, je vais servir mon pays. Je te le promets.
Jacob m'a donné une cigarette, ce soir. Depuis que je porte ce casque de feraille sur ma tête, je veux en goûter une. Mais les gars me l'interdisaient. Ils disaient que ça allait ralentir ma course, que je ne supporterais plus le poids de l'étendard. Mais demain je ne cours plus. Demain, je ne me bats plus.
Je me fiche qu'ils censurent la lettre, Maman. Je sais que tu la trouvera. C'est sûrement la dernière que je t'envoie.
Je ne reverrai jamais Lise. Je le sais. Si tu la croise un jour, tu pourras lui dire ? Je sais que tu le feras.
Je regrette tout. Absolument tout. Mais toi, vis, et ne regrettes pas. Parce que je suis libre. Et ce que je tiens entre mes doigts, c'est tout ce dont j'ai besoin. Un crayon... Et une cigarette. Ma première cigarette.

Je t'aime, Maman.

Ton fils, Eugène.

Ma première cigaretteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant