— Merci pour votre intervention docteur Martin. J'en profite pour rappeler à nos téléspectateurs qu'un reportage intitulé " Aéroport de Berlin : plongeons au cœur de l'horreur" sera diffusé demain à 20h sur notre chaîne. Merci à tous nos invités…
L'image disparue instantanément lorsque j'envoyai rageusement la télécommande contre l'écran. Depuis deux semaines les médias s'étaient emparés de l'affaire, ne nous laissant plus aucun repos à nous, les principaux concernés de ce massacre. Les proches et survivants de l'attentat suffoquaient sous cet amas médiatique. On ne nous laissait pas vivre nos deuils en paix. À la place, ces vautours se battaient pour obtenir le témoignage le plus croustillant, les informations les plus morbides... J'en venais à leur vouer une haine semblable à celle que j'entretenais envers les assassins de mes amis. Ces gens étaient dénuées d'âmes, ne se nourrissant que du malheur qu'engendrait ce genre de tragédie.
En réalité, ma colère restait constante depuis ce jour fatidique. J'enviais la sagesse de certains, qui assuraient ne pas ressentir cette envie vengeresse qui m'habitait. J'étais incapable de renoncer à réclamer que justice soit faite. Malheureusement, les responsables directs de l'attaque avaient péri avec leurs victimes. Une fin bien douce, comparée à ce que nous vivions, à ce que je vivais. On m'avait arraché une partie de moi, des membres de ma famille. J'avais toujours considéré Florence et Antoine comme une soeur et un frère de coeur. Ayant été élevé par mes grands-parents et étant fils unique, Flo et son mari étaient devenus les deux piliers les plus importants de ma vie. Et voilà que des monstres se pensant soudainement affublés de droits divins venaient tout détruire et me faire tomber dans les ruines de mon désespoir.
D'un pas rageur, je finis par me diriger vers le balcon. Quitter ma chambre était devenue chose rare depuis plusieurs jours. Je passais mes journées et mes nuits devant les commandes que je n'arrivais pas à finaliser, ou bien sur mon lit à ruminer. M'alimenter était devenu secondaire et j'aurais arrêté d'y penser si Cécile n'y veillait pas. Ainsi, je ne quittais mon antre que dans le seul but de me détendre les nerfs en fumant une cigarette. Cette heure déjà avancée de la soirée restait l'un de mes moments favoris. Tout y était plus calme, apaisant quelque peu la tempête qui déferlait en moi. Adossé contre la rambarde je levai la tête pour contempler le ciel. Je n'avais jamais cru en Dieu, et pourtant je me mettais à espérer très fort que le paradis soit, lui, bien réel. Juste pour qu'ils ne disparaissent pas. Pas entièrement. Que je puisse me raccrocher encore à quelque chose, aussi chimérique soit-elle.
Alors que j’entamai ma quatrième clope, j'entendis la porte de l'appartement s'ouvrir. Cécile venait de rentrer. Elle passait de plus en plus de temps à son atelier, entourée de ses aiguilles et ses tissus. Notre relation c'était quelque peu détériorée et j'en étais le principal responsable. Bien sûr, elle partageait ma peine, Flo et Antoine faisaient également partie de ses amis, mais ma colère n'avait de barrière contre personne, même pas pour celle que j'aimais. Elle souhaitait à tout prix que je débute mon deuil, que l’on recommence à sortir, à se changer les idées... Mais, continuer à vivre comme si de rien n'était sonnait comme la pire des trahisons à mes oreilles. Parfois, je culpabilisais de lui faire vivre tout ça. Elle ne pouvait pas comprendre que jamais je ne pourrais retrouver une vie normale. J'en venais à me demander si elle méritait vraiment l'unique piètre existence que je pouvais lui offrir désormais.
— Lucas ?
— Je suis sur le balcon, grognais-je.
Cécile me rejoignit en quelques secondes, s'installa près de moi. Voulant éviter l'une de ses remarques réprobatrices devenues habituelles, j'entamai un geste pour retourner dans ma chambre.
— Attends, est-ce que tu peux me donner une cigarette ?
Je me retournai vers elle, interloqué. Ce n'était pas une fumeuse, elle ne l'avait jamais été. Était-ce un moyen qu'elle avait trouvé pour renouer le contact ? C'était stupide. Pourtant, je fis demi-tour et lui tendis mon paquet sans rien dire. Après tout, elle se donnait du mal pour sauver notre relation et malgré toute ma peine, mes sentiments pour elle ne s'étaient pas taris complètement. Elle me gratifia d'un sourire et partit s'installer sur notre table d’extérieur, face au paysage. Je fus étonné de voir qu'elle ne s'étouffa pas avec la fumée, apparemment elle avait déjà goûtée au tabac plusieurs fois contrairement à ce que je pensais.
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Promesses Liées
General FictionLucas a une vie bien remplie. Entre sa fiancée Cécile avec qui il coule le parfait amour, son métier de graphiste dans lequel il s'épanouit pleinement et ses amis, le jeune homme voit arriver son avenir sous les meilleurs augures. Du moins était-ce...