Le crissement du gravier blanc qui s'élevait sous chacun de mes pas alourdissait l'ambiance paisible de l'endroit. À vrai dire, le silence alentour me paraissait plus pesant qu'agréable. Les allées identiques et rectilignes, bordées d'arbres aux couleurs automnales éclatantes, ne faisaient qu'augmenter la sensation d'étouffement qui me poursuivait depuis que j'étais entré ici. Le vent frais fouettait mon visage, déjà bien mordu par le froid de ce mois de novembre. Je remontai la fermeture éclair de mon manteau d'un geste sec avant d'enfoncer les poings dans mes poches. Mes jambes me portaient vers ma destination sans que je n'y prête réellement attention. Je n'aurais su dire depuis combien de temps je marchais ainsi. Cinq, trente minutes ou peut-être deux heures ? Cela ne m'importai guère. En revanche, j'étais prodigieusement agacé par les senteurs tenaces des nombreuses fleurs autour de moi. Le Noroît, particulièrement puissant ce jour-là, semblait s'echiner à porter l'arôme entêtant des plantes jusqu'à mes pauvres narines déjà rougies.
Pourtant, hormis le vent farceur, le temps coulait d'une manière différente ici. J'avais la désagréable impression que les minutes s'étaient allongées de plusieurs heures. Même le ruisseau qui bordait le terrain paraissait se déverser au ralenti. Peut-être était-ce qu'ici, l'horloge avait cessée de fonctionner.
Mon regard se posa sur cet environnement que je ne voulais pas voir. Mes yeux cherchant mécaniquement leur chemin, afin que je puisse de nouveau naviguer par automatisme entre ces allées identiques. Cette fois-ci, mon GPS ne me fit pas faux-bond. Au loin, mon but se profilait parmis ces pierres semblables. Je sentis mon cœur se serrer tandis que je ravalai un sanglot. Pas maintenant.
Lorsque je me plantai en face de cette tombe, mon regard se fit plus dur encore. Maudits furent-ils, eux et leur banalité apparente. Une bouffée chaude remonta dans ma gorge, menaçant de percer mes lèvres gercées, mais je n'en fis rien. Je restai là, un long instant, partagé entre plusieurs sentiments. Je ne pus me soustraire bien longuement à l'épitaphe dégoulinant de prosaïsme, inscrit en lettre dorées sur le granite blanc : « En mémoire de Florence et Antoine Duval. Parents aimants et amis généreux. ».
Une colère sourde s'éleva de mes entrailles tandis que mon corps choisit ce moment pour succomber. Je tombai lourdement sur le sol, écorchant mes genoux sur le gravier à travers mon jean. Mes poings vinrent s'abattre sur la pierre alors que les larmes dévalaient mes joues, tout comme ce cri désespéré et rageur qui perça pour de bon le silence d'or du cimetière.
***
Le CD de l'album « Pure… Hard Rock » du groupe « System of a down », une photo prise à Londres, peu après la matinée au petit déjeuner originaux que les filles nous avaient préparé et où nous apparaissions tous les quatre, trônaient au milieu des roses et des chrysanthèmes hideuses, fraîchement coupées. Je baissai la tête mollement. Ils n'avaient jamais vraiment aimé les fleurs.
Alors que je soupirais par la bouche, un filet de fumée s'échappa de mes lèvres avant de s'élever dans une danse silencieuse mais qui me parut presque mélodieuse. Je me rappelai soudainement les raisons de ma présence ici. Flo, Antoine et moi étions de grands fans de musique, tous styles confondus ou presque. Nous pouvions passer du Rock au Classique, du Rap au Jazz, de la Pop à la Variété française ou bien encore du Reggae au Raï. Florence avait pourtant une chanteuse préférée qu'elle n'hésitait pas à écouter à toute heure du jour ou de la nuit.
Je sorti mon téléphone et le déverrouillai rapidement, affichant mon application musicale.
— Je suis venu Flo, tu vois ? Tu… J'avais promis. Et le nouveau Lucas tiendra toutes ses promesses désormais. Alors, me voilà… gloussai-je tristement en pensant à ce que je m'apprêtai faire.
Je choisi la première chanson et lança la lecture avant de déposer mon appareil sur la pierre froide. Me relevant difficilement, mes membres engourdis rechignaient à coopérer, je réussi à me tenir debout. Après une inspiration profonde, ma voix s'éleva au milieu du lieu désert. Beaucoup de mes notes étaient fausses, je baragouinai parfois les paroles qui se mélangeaient dans mon esprit, mais je tins bon. Lorsque le premier morceau se termina, je senti une vague de légèreté m'envahir doucement. Peut-être avais-je l'air ridicule, cependant, qui aurait pu en être témoin quand la vie elle-même avait quitté cet endroit ?
Lors du second morceau, je me mis à remuer un peu plus, m'essayant à quelques petits pas de danse. La playlist s'enchaînait tandis que mon corps se désinhibait au rythme des mélodies multiples. Je chantai désormais à tue-tête, sautai, effectuai des mouvements gauches et mal ordonnés qui me ravissait pourtant. Des perles de sueur glissaient lentement sur mes tempes et je senti que mon pull en laine me tenait de plus en plus chaud.
Lorsque le dernier morceau s'acheva, j'étais en nage mais un sentiment de bien-être me traversa furtivement. J'avais réussi. J'avais tenu la promesse que j'avais faite à mes amis de chanter et danser sur leurs musiques favorites près de leur tombe. Cela pouvait paraître assez glauque. Surtout que je m'étais engagé lors d'une soirée assez arrosé en Ecosse, soit rien de très officiel. Pourtant, si je commençai déjà à faire des concessions, je ne réussirais jamais à accomplir ma nouvelle résolution.
Mais, lorsque l'ultime mélodie joua ses premières notes, je cru soudainement ne plus être capable d'y arriver. J'avais oublié cette chanson. L'air de « Encore un soir » de Céline Dion, la chanteuse favorite de Florence, fendit le silence déjà perturbé par ma respiration devenue erratique. Le peu de sentiments positifs que j'avais emmagasiné durant ces dernières minutes s'échappaient de mon corps, comprimant douloureusement mes poumons et brûlant ma gorge. Malgré la douleur, je me mis à chanter en sanglotant lorsque le premier couplet débuta. Les mots me transperçaient de toutes parts, me forçant même à me plier en deux avant de retomber sur mes genoux. L'air glacial que je respirai m'asphyxia et je dû forcer sur mes cordes vocales pour ne pas m'effondrer.
Cet instant me sembla durer une éternité. Un supplice dont je ne voyais pas la fin.
— Un soir… murmurai-je alors que ma torture prenait fin.
Ou peut-être ne venait-elle que de commencer.
Je rampais presque jusqu'à mon téléphone pour le verrouiller, les mains tremblantes.
— Je suis désolé. Tellement désolé, pleurai-je en m'effondrant pour de bon, ma joue contre le granite froid où s'écoulaient mes larmes intarissables.
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Promesses Liées
General FictionLucas a une vie bien remplie. Entre sa fiancée Cécile avec qui il coule le parfait amour, son métier de graphiste dans lequel il s'épanouit pleinement et ses amis, le jeune homme voit arriver son avenir sous les meilleurs augures. Du moins était-ce...