Chapitre 4

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En entrant dans la pièce, je fus comme saisi à la gorge, cherchant ma respiration difficilement. Contrairement à ce que j'avais toujours pensé, aucun silence lourd et pesant ne régnait : c'était bien pire. Des chuchotements bourdonnaient autour de nous tandis que plusieurs personnes s'installaient sur les bancs dans un vacarme assourdissant. La décoration mortuaire se trouvait partout où je posai mon regard. Des gerbes de fleurs composées de lys, de roses et de chrysanthèmes pour la majorité, ornaient chaque bordure de rangée. De plus grosses compositions encadraient l'estrade, où des photos de mes meilleurs amis avaient été déposées. Elles paraissaient touchées par la lumière divine, les motifs des vitraux dansaient sur le papier glacé comme pour accentuer la fin tragique de ceux dont l'image y était imprimée. L'odeur florale qui se répandit dans l'air me donna le tournis.

Alors que je m'avançai difficilement dans l'allée principale, la main de Cécile fermement soudée à la mienne, je les entendis. Ces cris, ces pleurs qui résonnaient dans toute la salle, comme provenir des cieux, ces râles de douleurs insoutenables. Ils me tétanisaient. J'eus le réflexe instinctif de reculer. Je n'étais pas prêt pour ça, je ne le serais jamais. 

Ma fiancée tira légèrement sur ma main en me gratifiant d'un rictus d'encouragement. Elle m'entraîna à sa suite sur le premier banc libre que nous avions trouvé et me fit asseoir. C'était beaucoup trop. Je ne le supporterais pas. Je cherchai désespérément à oxygéner mes poumons asphyxiés par cette ambiance morbide, en vain. Paniqué et à bout de souffle, je me tournai vers Cécile, la suppliant silencieusement de me venir en aide.  Elle prit immédiatement les choses en main et m’obligea à me concentrer sur ma respiration. J'allais éviter la crise de panique pour cette fois, mais rien n'était moins sûr quant au reste de la cérémonie. Je ne tiendrais pas le coup. 

Mon regard se porta sur ce qui m'entourait. Peut-être y trouverais-je des visages familiers ? Mais parmi cette masse noire et difforme de monde, tous agglutiné sur leurs étroites planches de bois foncées, aucun nom ne me vint en tête. Je triturai nerveusement mes boutons de manchettes, mais j'abandonnai vite cette occupation, me rappelant soudainement la raison de cet accoutrement. Je n'avais même pas été fichu de trouver un costard correct le jour du mariage de Florence et Antoine. Voilà qu’aujourd'hui, je me dandinai dans un costume bleu marine qui m'était inconfortable tant il semblait peser lourd sur mes épaules. J'avais été un pitoyable ami, jusqu'au bout.

Je me préparai à servir une excuse acceptable pour fuir comme le lâche que j'étais, quand ma future femme attira mon attention. Aurélie et ses enfants venaient de faire leur entrée dans l'église et des sentiments contradictoires m’assaillirent. Mon envie de me tenir aux côtés d'Aurélie était aussi forte que celle qui me poussait à quitter cet endroit sans un regard en arrière. Mais ma raison l'emporta. Je restai donc pour les accueillir, quelque peu rassuré par la présence de la soeur de ma meilleure amie. 

C'est à cet instant que je la vis. Mon cœur se serra à l'idée que je n'avais même pas eu une pensée pour elle ces derniers jours. Je manquais à la promesse que j'avais faite à mes meilleurs amis depuis toujours, et aujourd'hui encore je n'avais pas été capable d'être à la hauteur de l'amitié qu'ils m'avaient offerte. Je trahissais leur mémoire.

Lucie s'installa à ma droite, suivie de sa tante et ses cousins. La petite fille portait une robe crème cintrée par une ceinture noire et n'affichait pas la moindre émotion sur son visage rond. Je remarquai quelques oeillades outrées vers sa tenue, mais je compris très vite que ces personnes ne devaient pas bien connaître Florence et Antoine. Dans le cas contraire, ils auraient su que ces derniers refusaient depuis toujours qu'on porte du noir à leur enterrement. Leur fille respectait simplement leur dernière volonté, et un sentiment de fierté me traversa.

Emporté par cette première émotion positive que je ressentais depuis bien longtemps, je ne pus m'empêcher une légère caresse sur le crâne de Lucie. Surprise, elle sursauta légèrement avant de couler un regard dans ma direction. Elle n'exprima cependant toujours aucune réaction et se concentra de nouveau sur l'estrade face à nous. Je ne savais pas si je devais m'en sentir offensé. Après tout, pouvais-je sincèrement lui en vouloir ? Je n'étais qu'un inconnu pour elle, pourquoi se laisserait-elle aller en ma présence ?

Dans un soupir, je me retournai vers le prêtre et pu apercevoir du coin de l'œil Aurélie qui m'adressait un sourire peiné. Peut-être avait-elle assisté à ma pathétique tentative.

Les discours s'enchaînèrent et bientôt, l'homme d'Église me fit signe d'approcher. Je m'avançai donc vers l'estrade sans un mot. J'aurais souhaité avoir eu la force d'écrire un beau discours, quelque chose de puissant qui aurait exprimé toute ma peine et tout l'amour que je portais à nos disparus. Pourtant, et-ce malgré de nombreuses tentatives, mes efforts se révélaient toujours vains. Plusieurs fois, Cécile m'avait retrouvé en larmes à mon bureau, entouré de papiers froissés. Ces signes visibles de mon échec prouvant mon incapacité à rendre hommage à mes amis me plongeaient dans un désespoir et une rage infinie. Malgré tout, j'avais tenu à participer aux discours. Jamais dans le cas contraire, je n'aurais pu encore me regarder dans une glace.

Tremblant d'appréhension, je fis face à l'assemblée qui attendait patiemment que je prenne la parole. Après quelques secondes, j’inspirai profondément en posant mes mains de chaque côté du meuble en bois, pour ne pas défaillir. 

— Je... Je tenais à remercier tous ceux et celles qui m'ont précédé, vos discours étaient magnifiques et je suis certain que nos amis les auraient adorés. J'aurais aimé moi aussi être à la hauteur. Mais je ne saurais quoi ajouté à ce qui a été dit ou à ce que vous savez déjà à propos de Florence et Antoine. 

Sentant ma gorge se serrer, je pris quelques instants pour contrôler les battements frénétiques de mon cœur. C'était une épreuve encore plus difficile que ce que j'avais imaginé, et je ne savais pas si je réussirais à tenir le coup. Je repris cependant mes esprits, et secouai légèrement la tête. Il le fallait, je leur devais bien cela.

— Je voulais donc simplement leur dire à quel point je les aime. Mais, même cela, je ne serais pas capable de l'exprimer de la manière la plus juste qui soit... Alors, je vous fais une promesse à tous les deux, gémis-je dans un sanglot. La dernière, mais celle-ci je la tiendrais quoi qu'il m'en coûte. Je vous promets de respecter désormais toutes les précédentes, toutes celles que je vous ai accordées sans jamais m'y tenir. Je vous promets de devenir un meilleur homme et de vous rendre fiers. 

N'y tenant plus, je quittai l'estrade sans rien ajouter et regagnai ma place, une main essuyant mes larmes. J'avais été pitoyable. Je sentis les regards des invités me brûler la peau et ma honte grandit un peu plus. L'idée de fuir cet endroit me traversa l'esprit, mais j'avais déjà suffisamment fait affront à la mémoire de Florence et Antoine.

Penaud, je me glissai sur le banc de ma rangée et baissai la tête. La cérémonie reprit son cours alors que j'avais regagné ma place entre Cécile et Lucie. Soudainement, je fus surpris par un contact léger. Je portai mon regard sur ma droite et découvrit qu'une petite main, douce et fragile, venait de se poser sur la mienne. Je dévisageai ma filleule un instant, quand celle-ci se tourna vers moi un faible sourire aux lèvres. C'était la première fois depuis qu'elle était entrée, qu'elle laissait transparaître une émotion.

Touché, je lui rendis son geste et pris délicatement le bout de ses doigts dans les miens. J'aurais été habituellement gêné par la situation, n'appréciant que très peu son contact auparavant. Pourtant cette fois-ci fut différente. Pour la première fois depuis dix ans, je sentis une réelle connexion avec Lucie s'établir, et je l'appréciai. À mon grand étonnement, j'en ressentai même le besoin. Nous étions donc restés ainsi jusqu'à la fin de la cérémonie, sans un mot, mais ensemble. 

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