Mes nuits furent très courte. Ma filleule n'avait finalement pas pu s'installer chez moi le lendemain du jugement. Préparer et trier ses affaires demandait plus de temps. Elle avait donc séjourné une semaine de plus chez sa tante.
Quant à moi, j'avais passé la majeure partie de mes insomnies à ranger la chambre d'ami pour l'arrivée de Lucie, mais également à cogiter. À ce qu'elle m'avait dit, ce que Aurélie m'avait avoué et également au flou de mes sentiments et envies. J'avais aimé et j'aimais toujours profondément Florence et Antoine. Était-ce de cela que la sœur de mon meilleur ami parlait lorsqu'elle avait mentionné l'amour ? Ma vie serait-elle gâchée par l'arrivée improbable de ma filleule dans mon existence ? Il semblait bien pour le moment. C'était horrible à admettre, mais prendre cette décision avait fait exploser mon couple, mes projets, tout. Je ne la tenais néanmoins pas pour responsable. J'étais le seul fautif dans cette affaire. Jamais je n'aurai dû accepter la proposition de mes amis. Je n'aurais pas dû et n'étais pas fait pour devenir son parrain. J'avais hérité du sens de l'honneur de ma grand-mère, mais pas de sa prudence dans les engagements. Je méritais donc le poids de mes malheurs et de ma nouvelle vie. Il me fallait à présent assumer.D’un pas traînant, je me dirigeai vers ma salle de bain pour me préparer. L’eau chaude ne me permit pas de mettre au clair mes idées embuées, mais je réussis néanmoins à sortir de ma torpeur. Le parfum de mon savon à l’abricot me mit même d’assez bonne humeur. J’avais toujours aimé les fragrances fraîches et légères qui me rappelaient ma grand-mère.
Un doute m’envahit soudainement alors que je humai la senteur fruitée. Que ferais-je si Lucie s'avérait plus du genre à apprécier les odeurs fortes et chimiques qui pullulaient dans les rayons enfants des parfumeries et supermarchés ?
Tandis que je m’habillais, une multitude de questionnements de ce genre me vinrent brusquement à l’esprit. Comment gèrerais-je une alimentation, des goûts musicaux, des habitudes différentes des miennes ? Faudrait-il que je m’adapte à ses manies pour ne pas la perturber davantage, au risque de me « sacrifier », ou bien devrait-elle plier face à mes règles de vie ? Peut-être pourrions-nous trouver un entre deux qui nous conviendrait ? Encore faudrait-il que nous y parvenions néanmoins.
Las de mes tergiversations, je saisis les clés de mon appartement avec la ferme intention de n’y réfléchir que lorsque le moment serait venu. Je m’engoufrai dans l'ascenseur sans remarquer Gérard, mon voisin illuminé. Ce dernier pourtant, semblait bien décidé à ne pas me laisser en paix.— Salut, Lucas ! T’as entendus les nouvelles aux infos ? Tu dois commencer à te demander si ton vieux pote Gégé n’avait pas raison, hein ? L’évidence est devant nous ! Mais, tu sais, si jamais tu…
Sa voix nasillarde m’irrita les tympans. Cet homme d’une quarantaine d’années, correspondait parfaitement au cliché que l’on pouvait se faire d’un survivaliste convaincu que l’on aurait croisé avec un témoin de Jéhovah.
La sonnerie de l’ascenseur retentit comme un son céleste à mes oreilles. Je me retournai vers lui, le coupant en plein milieu de sa phrase avec un rictus faussement désolé.— Pardon vieux, mais je suis pressé. Une prochaine fois peut-être !
— Passe chez moi rapidement Lucas ! Le jour où ça arrivera, je n'aimerais pas que tu te fasse rayer de la carte comme les autres !
— J’y penserais, lançai-je en accélérant le pas.Les voyageurs se hâtaient de toute part, créant une masse difforme dont certains électrons libre tentaient de s'extirper. Face à la marée humaine, j'attendais, droit comme un I et le regard fixé sur le panneau d'affichage. Les mains moites, je saisi mon smartphone et écris un sms à Aurélie.
« Le train a 10 minutes de retard d'après le panneau. Tu es sûre qu'elle a bien fait le changement ? »
La réponse ne se fit pas attendre.
« Oui, certaine. Ne t'inquiète pas, elle est entre de bonne mains avec l'équipe d'accompagnement de la SNCF »
Je fis la grimace. J'avais lu et entendu pas mal d'incidents qui s'étaient produits alors que les enfants étaient encadrés par des agents. Pertes de valises, vols, mauvais arrêt, oublis du jeune dans une des voitures du train… Lucie n'avait après tout que dix ans. Il pouvait lui arriver n'importe quoi durant le trajet et elle ne pourrait se débrouiller seule pour s'en sortir. Heureusement, j'avais eu la bonne idée de lui acheté un petit téléphone portable à clapet qui servirait à ce genre d'occasions. Sans plus attendre, je l'appelai.
— Allô ?
— Lulu, c'est parrain. Tu es bien dans le train ?
— Oui. Le contrôleur nous a dit qu'on aurait dix - quinze minutes de retard.
— Ok, c'est pas grave je suis déjà à la gare et je t'attend. Tu as bien fait le changement de train au troisième arrêt ?Lucie mit quelques secondes à répondre, comme si elle n'était pas certaine.
— Lulu ?
— Bah, oui je l'ai fait. Je t'ai dis que le contrôleur viens de passer pour nous dire qu'on arrivait à la bonne gare, t'es bête ?
— Sur un autre ton s'il te plaît. Je veux juste m'assurer que tu as bien été prise en charge.
— Ouais ! Et puis elles sont grave gentilles les dames qui s'occupe de nous ! Elles nous ont donné à manger et y'avait même des tartes aux citrons !Je me mis à sourire. Elle n'avait pas l'air aussi stressée que je l'avais crain.
— Bon, dès que tu arrives, tu restes bien avec tes accompagnatrices, ok ? Je serais déjà sur le quai, t'auras pas à m'attendre longtemps.
— Ok, à toute parrain !Elle me raccrocha limite au nez, sûrement plus intéressée par ses jeux et conversations avec les autres enfants du wagon.
Quelques minutes plus tard, le train entra en gare. Je me postai au milieu du quai avec d'autres personnes, attendant elles aussi leurs proches. Lorsque les portes s'ouvrirent, je cherchai du regard en balayant la zone, attentif. Je finis par trouver Lucie, en pleine conversation animée avec deux autres petites filles. Elles faisaient les folles près de la porte du wagon sous la surveillance d'une agent, tandis que l'une de ses collègues « distribuait » les enfants à leurs parents et qu'une autre sortait toutes les valises. Je m'approchai avec un petit rictus timide que Lucie me rendit quand elle m'aperçu. Nous faisions un peu tâche au milieu des embrassades et des exclamations de joie. Nous nous regardions, un peu gênés, sans trop savoir quoi faire. Ce fut l'une des accompagnatrice qui finit par rompre cette bulle de silence qui nous entourait.
— Bonjour monsieur, vous venez récupérer Lucie ?
Une fois que nous eûmes rassemblé les affaires de ma filleule, elle quitta ses copines en les câlinant, avant de leur promettre de les appeler.
Alors que nous nous dirigions vers ma voiture, je finis par lui faire la réflexion.— Tu leur a donné ton numéro de portable ?
— Bah, oui, pourquoi ?
— Lucie, tu es trop jeune pour avoir un téléphone. Celui-ci ne te servira que dans des moments comme ça, où tu n'es pas avec moi ou ta tante.
— Mais t'as dis qu'il était à moi ! s'emporta-t-elle. Comment je fais pour appeler mes copines moi maintenant ?Je soupirai. Nous n'avions même pas encore quitté la gare que les problèmes commençaient déjà.
Je pris un peu de temps à lui répondre, préférant dans un premier temps, déverrouillé mon véhicule et y déposer sa valise et ses sacs.— Tu ne les reverra jamais de toute manière, alors à quoi bon gâcher ton crédit ? Je n'ai mis que dix euros dans ton téléphone pour permettre des appels d'urgences. Tu ne l'auras pas tout le temps. D'ailleurs, rend le moi puisque tu n'en aura plus besoin maintenant.
Je fis claquer le coffre et me tournai vers elle, la main tendue. Cependant, je fus quelque peu déstabilisé lorsque je vis ses yeux bleus emplis de larmes. Certes, je n'avais peut-être pas été assez clair sur l'utilisation qu'elle aurait de ce portable. Mais était-ce une raison pour me faire un caprice à peine arrivée ?
Déterminé à faire respecter ma nouvelle autorité, je m'avançais un peu plus en lui indiquant de la main d'y déposer l'appareil.— T'es un menteur ! Tu m'as dit qu'il était à moi et maintenant tu me le reprend ! Ça se fait pas ! brailla-t-elle.
— Lucie, tu te calmes tout de suite s'il te plaît. Les caprices ça ne marche pas avec moi. Donc tu me rends ce téléphone et tu montes fissa dans cette voiture, ordonnais-je d'un ton ferme sans pour autant hausser la voix.Ma filleule me lança un regard haineux avant de s'emparer de l'appareil pour le plaquer brutalement dans ma paume. Sans rien dire, mais toujours en me foudroyant silencieusement, elle s'installa à l'arrière.

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Promesses Liées
General FictionLucas a une vie bien remplie. Entre sa fiancée Cécile avec qui il coule le parfait amour, son métier de graphiste dans lequel il s'épanouit pleinement et ses amis, le jeune homme voit arriver son avenir sous les meilleurs augures. Du moins était-ce...