Chapitre 1 (Mary)

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La brise matinale me souffle dans le cou. Le soleil éblouit mes yeux sombres. Je peux sentir la boue sous mon pied, qui se mêle à l'herbe mouillée par la rosée. Tous mes sens sont en éveil. Je regarde droit devant moi avec détermination et fait abstraction de ce qui m'entoure. Enfin, je m'élance, et frappe dans la balle de toutes mes forces, sous les rires de mes fidèles nonnes.

Depuis que je suis au couvent, chaque journée se déroule de la même manière, et j'ai fini par m'y habituer. A l'aube, mes servantes m'aident à faire une brève toilette, et à m'habiller. Un peu plus tard dans la matinée, tout le monde se rejoint dehors pour pratiquer ce sport traditionnel, joué à la balle. Et après cet instant physique, nous reprenons des forces autour du déjeuner.

Aujourd'hui justement, nous avons le droit à de la bouillie pour le repas. Il ne suffit pas de se fier au nom, il faut goûter pour apprécier ! Je m'assieds à côté de Rose, une petite fille que je connais depuis plusieurs années. Les bonne-sœurs discutent ensembles, attendant qu'on leur serve leur repas. Tout semble aller pour le mieux.

Je laisse donc dériver mon regard sur cette attablée de femmes, puis mes yeux s'attardent sur l'une d'entre elles. La sœur en question me fixe avec insistance. Je peux percevoir de la détresse dans son regard, ce qui m'intrigue encore plus. Puis un bruit... d'abord faible et de plus en plus pesant... parvient jusqu'à moi : la nonne est prise d'une quinte de toux. A cet instant, je remarque de la salive au creux de sa bouche : elle ne tousse pas, non, elle est en train d'agoniser ! Dans la seconde qui suit, du sang jaillit sous son voile blanc au niveau de ses oreilles et de sa bouche. Soudain, dans un bruit sourd, la tête de la nonne s'écrase lourdement sur son assiette : elle est morte. Rose choisit cet instant pour pousser un cri perçant, mais je ne l'entend déjà plus, alors que le couvent tout entier a déjà sombré dans la panique... Je n'arrive pas à détacher mes yeux de cet horrible spectacle.

Les nonnes s'affairent de tous les côtés, c'est le chaos. Des cris fusent de toute part : "Sauvez Mary !"..."Enlevez-lui l'assiette !" Avant que je comprenne ce qui se passe, quelqu'un me prend par le bras pour m'emmener loin de ce carnage : c'est sœur Madeleine, la mère supérieure en charge de la direction du couvent. Nous nous dirigeons à grands pas vers un lieu plus en sécurité.

-"Tu dois partir sur le champ, c'était une tentative d'assassinat !", m'explique-t-elle."Tu as failli mourir empoisonnée."

Elle tente de ne pas se laisser affecter par les événements, mais je sais, au ton de sa voix, qu'elle a peur.

-"Par qui ?" je demande, pleine d'inquiétude.

-"Quelqu'un lié au royaume d'Angleterre sans aucun doute ! Tu peux être sûre qu'il sera retrouvé."

Les anglais. J'aurais dû le prévoir. Ce n'est pas la première fois qu'ils me menacent. En fait, c'est ainsi depuis toujours. Ils me convoitent pour ce que je représente : l'Ecosse.

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Je suis Mary Stuart, et voici ma vie. Depuis ma naissance, je suis destinée à être reine d'Ecosse. Mon avenir est déjà entièrement planifié. Je suis le fruit de l'union entre Jacques V, roi d'Ecosse, et Marie de Guise. En tant que membre de la famille royale d'Ecosse, j'appartiens à la dynastie des Stuart, au pouvoir depuis le XIVème siècle.

Je n'ai pas connu mon père : il est mort six jours après ma naissance. Pourtant, c'est à lui que je dois mon titre de reine, car à sa mort, je suis devenue la souveraine. Je n'ai eu le droit qu'à six jours, six jours de liberté, avant de me retrouver enchaînée à la couronne toute ma vie... Comme j'étais beaucoup trop jeune pour diriger l'Ecosse à l'époque, on a confié la régence à ma mère. Celle-ci est de nationalité française, et a vécu pendant longtemps en France.

Comme je l'ai dit, les anglais veulent s'emparer de l'Ecosse depuis des années. Le roi Henry VIII était très avide de pouvoir. Il dirigeait déjà l'Angleterre et l'Irlande, et quand il est mort, il a légué sa couronne et ses idées de grandeur à sa fille, Mary Tudor, qui est aussi ma cousine. Depuis, l'Armée anglaise multiplie les attaques autour de la frontière écossaise.

Lorsque j'avais 6 ans, une attaque, plus violente que les autres, eut lieu au château. Pour préserver ma sécurité, on m'envoya en France, à la cour du roi Henri II. Mes oncles maternels étaient des proches du roi, et suite à quelques négociations, ils ont obtenu une alliance entre l'Ecosse et la France. En fait, l'objet de cette alliance résidait en une personne : moi. Les termes du contrat étaient simples : il s'agissait d'un mariage entre le dauphin de France ; François II, fils d'Henri II et Catherine de Médicis ; et moi-même. Depuis que je suis enfant, je suis donc promise à l'héritier du royaume de France, ce qui veut dire que je serais moi aussi appelée à régner sur ce pays plus tard. Ma mère espère sincèrement qu'avec l'appui de l'armée française, l'Ecosse sortira gagnante de cette guerre contre l'Angleterre.

J'ai eu l'occasion de croiser François à plusieurs reprises, lors de mes années passées en France. Nous avions environ le même âge, et cela nous a aidé à tisser des liens. Même si dans mes souvenirs la bonne entente régnait entre nous, je me rappelle tout de même que nous nous disputions assez ... le plus souvent à propos de nos jeux. Il ne faut pas oublier qu'avant d'être des souverains, nous étions des enfants.

Un jour, ma mère vint me rendre visite à la cour. Comme ses visites étaient rares, j'ai cru qu'elle me ramenait dans mon pays natal. A la place, elle m'emmena au couvent. Toutes ces années, où j'ai grandi isolée du monde extérieur, on m'a donné une éducation solide. J'ai fini par apprécier cette vie à la campagne. Ma mère a fait très peu de haltes au couvent durant cette période, car les tensions entre l'Ecosse et l'Angleterre étaient - et sont toujours - à leur comble. Pendant tout ce temps, j'ai attendu mon retour à la cour de France, ainsi que mes retrouvailles avec la famille royale... et aujourd'hui... Aujourd'hui, ce jour est enfin arrivé.

Mary Stuart : Long Live The Queen [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant