Chapitre 3 (François)

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Je descends les grands escaliers du château à toute allure, tout en rajustant mon veston et ma ceinture. La pression monte... d'autant plus que, comme à mon habitude, je ne suis pas vraiment à l'heure. Je parcours le couloir du regard à la recherche d'un visage familier parmi la foule de domestiques qui accourt de tous les côtés. Puis j'aperçois Sébastien qui m'attend un peu plus loin, et mon visage s'éclaire.

-"François ! On te réclame à grands cris, je partais justement à ta recherche.", m'accueille-t-il avec un grand sourire.

-"Je montais..."

-"Ah oui ? Qui ça ?", réplique mon frère, avec son air narquois.

Je réprime un rire puis lève les yeux au ciel. Il est vrai que j'ai eu pas mal d'aventures ces derniers temps... Mais Sébastien ne devrait pas rire de cela, car dans ce domaine, il est encore pire que moi.

-"Tu peux me décrire l'humeur ?", dis-je, pour changer de sujet.

-"De notre père ou l'humeur générale?" , me demande-t-il, en m'aidant à remonter mon veston.

Je me retourne et l'interroge du regard, curieux de savoir ce que j'ai manqué. Il me répond instantanément.

-"Tendue en tous points. Ils préparent les noces de ta soeur."

Comme souvent, les paroles de mon aîné me rappellent à mes devoirs de futur souverain. Aujourd'hui est un jour important pour notre famille : ma soeur cadette, Elisabeth, se marie avec le roi d'Espagne. Ainsi, depuis une semaine, tout le château est en effervescence : ma mère est déterminée à ce que tout soit parfait. En plus de cela, la cour de France accueille aussi une invitée : Mary Stuart, reine d'Ecosse. Elle vient pour conclure son alliance avec nous, la famille royale : cette alliance me concerne principalement, car mes parents ont décidé de me marier à cette jeune reine...

-"Est ce que ta mère est là ?", je demande, pour me tirer de mes pensées.

-"Non. Seuls la famille royale et sa suite sont autorisés à entrer...", soupire-t-il. "Mais ta mère est en très grande forme ! Que Dieu te garde, je me retire, puisque tu es là."

Sur ce, il me donne une tape sur l'épaule, et s'éloigne. Sébastien - comme il aime me le rappeler - ne fait pas partie de la famille royale. Il n'est que mon demi-frère, le fils aîné de mon père Henri II et de sa maîtresse, Diane de Poitiers. Aux yeux l'Eglise, il n'est rien, si ce n'est qu'un bâtard illégitime. Il ne sera jamais roi ; mais il est libre, lui. C'est pourquoi il n'est pas obligé d'assister à toutes ces formalités.

-"Tu as bien de la chance !", je pense tout haut, mais il est déjà parti.

J'entre ensuite dans l'immense salon où se déroulent les préparatifs. J'observe d'abord ma sœur, qui se pavane dans sa robe de mariée : il faut dire qu'elle lui sied parfaitement. Nous échangeons un sourire complice. Je tourne la tête et aperçois mes parents à l'autre bout de la salle, qui se querellent déjà. Et qui est l'objet de cette dispute ? Mary Stuart, évidemment ! Elle n'est même pas encore arrivée que son nom est déjà sur toutes les lèvres...

-"Mary devrait être protégée, cachée.", déclare ma mère en faisant les cents pas.

-"C'est ce que vous prétendez. Vous avez aussi prétendu qu'elle devait aller au couvent pour parfaire son éducation, alors qu'en vérité, elle vous agaçait.", rétorque mon père.

-"Son arrivée fait passer les noces de notre fille au second plan."

-"Eh bien, c'est pourtant le moment idéal pour faire montre de notre alliance avec l'Ecosse : la moitié des têtes couronnées sera à notre table."

Je m'avance vers eux et échange un sourire furtif avec Natalia. Le geste est si bref que personne ne semble le remarquer.

-"J'entends certains dire que trop d'alliances dénote la faiblesse d'un souverain.", reprend ma mère, alors que j'exécute une révérence, arrivé au niveau de mes parents.

-"Alors pourquoi vendons nous notre fille à l'Espagne ?"

-"Vous m'avez fait demander ?", je les interromps. "A moins que vous ne préfériez que je revienne pour mes noces ? Vous avez choisi l'épouse, avez-vous aussi le jour ?", je demande, la voix pleine de sarcasme.

-"Bien sûr que oui : le jour où je le dirais. Sinon, l'Angleterre pointera son épée dans notre direction.", réponds mon père, en levant le menton, pour bien me montrer qu'il est toujours le souverain.

Ma mère semble vouloir ajouter quelque chose mais se ravise, face à l'autorité de son roi.

-"Elle est en chemin", ajoute justement celui-ci.

Je hoche la tête : l'entendre dire cela me rend soudain tendu.

-"Si vous parlez de Mary Stuart, je le sais."

-"Vous n'avez pas l'air très enthousiaste. Vous jouiez pourtant bien ensemble."

Je repense à ces années qu'elle a passée enfant, à la cour de France ; mais je n'en ai que des souvenirs flous.

-"Elle était maigrelette, il lui manquait une dent de devant, et ses idées...", dis-je pour me justifier, mais mon père l'interrompt.

-"Je suis sûr que la dent a repoussé. Et pour les idées, vous les ignorerez. N'est-ce pas Catherine ?", dit-il, en s'adressant à ma mère, qui l'ignore.

-"Les dames d'honneur sont également en chemin : trois nobles et la quatrième est hontément riche. Tout à fait votre genre !", répond-t-elle, pour attaquer mon père.

Mon regard navigue entre mes deux parents, qui se déclarent la guerre depuis mon arrivée.

-"Votre épouse apporte un pays et une armée. Je n'ai pas eu cette chance...", dit-il en me regardant, alors qu'il s'agit en fait d'une pique destinée à ma mère.

Sur ce, il met fin à la discussion et nous fausse compagnie. Je me retrouve seul avec ma mère.

-"Je ne suis peut-être pas née la couronne sur la tête, mais ma fortune alimente ce pays." , déclare-t-elle. Elle soupire. "Laissons-le jouer les rois. Cette écossaise, vous ne l'épouserez que quand je le voudrais." Elle pose une main sur ma joue, et ce geste me rassure. "Je suis votre alliée, à jamais."

-"Je sais", je réponds, touché.

Malgré tous les enfants qu'elle a eu, ma mère m'a toujours accordé une place spéciale dans son cœur ; sans doute parce que je suis son aîné. Dans tous les cas, je sais que je peux compter sur elle, quoi qu'il advienne.

Mary Stuart : Long Live The Queen [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant